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Un endettement sans fin est-il raisonnable ?


Macroéconomie | L'Europe et le monde

Écrit pour la Session 20 – Un endettement sans fin est-il raisonnable ?

Un endettement sans fin est-il raisonnable ? Cette question porte à la fois sur la dette publique et la dette privée et elle se pose différemment selon le contexte et le profil de l’emprunteur.

La dette publique résulte de l’accumulation dans le temps des déficits de l’État et des administrations publiques. Son financement intervient grâce à la mobilisation de l’épargne nationale et internationale. Les contraintes budgétaires sont allégées dès lors que le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance. Cela peut expliquer, en partie, l’accroissement important de la dette publique dans les pays industrialisés ces dernières années, favorisé par un contexte de faible inflation et de politiques monétaires expansionnistes (avec des taux d’intérêt directeurs proches de zéro et le rachat d’une part des obligations souveraines par les banques centrales). Par ailleurs, une dette publique de long terme, libellée en monnaie domestique et émise par des pays susceptibles de dégager, grâce à la croissance future, des recettes budgétaires élevées, fait peser un risque mineur quant à sa solvabilité. C’est ainsi que les gouvernements des pays industriels ont pu financer les mesures ayant permis d’amortir les impacts économiques et sociaux des crises récentes (crise financière de 2008, crise du Covid-19, crise énergétique depuis 2022), tout en maintenant des investissements à plus long terme à moindre coût. La situation est tout autre dans les pays émergents. Ces économies ont subi les mêmes chocs internationaux mais ils font face à des besoins d’investissements considérables, à courte et longue échéances, pour renforcer leur développement économique alors qu’ils bénéficient d’une marge de manœuvre beaucoup plus étroite dans la conduite de la politique budgétaire. Considérés comme plus risqués, ces pays, très dépendants des capitaux internationaux, ont été contraints d’emprunter à plus court terme, en monnaie étrangère et à des taux d’intérêt plus hauts. Ils supportent ainsi un service de la dette, le montant que l’emprunteur doit régler chaque année à ses créanciers, beaucoup plus élevé.

Lorsqu’on s’intéresse à la dette privée, on doit distinguer la dette des ménages qui relève principalement du secteur bancaire, de celle des entreprises qui privilégient, pour la plupart, les financements sur les marchés financiers. A l’échelle mondiale, on observe une hausse fulgurante de la dette privée depuis 20 ans, celle-ci étant très élevée pour les ménages les plus modestes. Cette dynamique a soutenu la demande et donc la croissance. Elle a cependant aussi contribué à alimenter le cycle financier international et à créer des déséquilibres macro-financiers. Les politiques de levier d’endettement déraisonnables et les comportements mimétiques, euphoriques d’abord puis subitement neurasthéniques, ont favorisé, tout à la fois, un endettement excessif et la recrudescence des crises financières, par exemple en 2008. Si les banques doivent respecter aujourd’hui des réglementations prudentielles de nature à limiter les prises de risque et les sources d’instabilité financière (régulations macroprudentielles), la forte hausse de l’endettement privé s’est poursuivie, au Nord comme au Sud et certaines fragilités demeurent, comme l’a montré l’expérience récente des banques régionales américaines.

Or, aujourd’hui, le contexte a changé. Le retour de l’inflation se traduit par un relèvement des taux d’intérêt nominaux et réels, un ralentissement puis un arrêt de la politique de rachat de dettes publiques et privées par les banques centrales et une baisse de la croissance. Même s’il y a là des causes conjoncturelles, accentuées par la guerre en Ukraine, par les politiques budgétaires fortement expansionnistes liées à la crise du Covid et au confinement prolongé de la Chine, il est à craindre que cette tendance se confirme dans les mois et les années à venir. En effet, même lorsque les causes initiales se seront dissipées, une inflation plus structurelle peut perdurer (du fait de la moindre productivité dans le secteur des services, du vieillissement de la population, y compris en Chine, de la réorganisation du commerce international en cours, de la transition vers une économie décarbonée et de la raréfaction de certaines matières premières). S’y ajoute une incertitude élevée concernant la stabilité financière et la poursuite des politiques monétaires restrictives contribuant au maintien de taux d’intérêt élevés, notamment les taux longs. L’écart entre le taux d’intérêt et le taux de croissance risque donc de diminuer, la charge de la dette augmenter et la marge de manœuvre des agents peut, de ce fait, se réduire. Se pose alors la question, d’une part, de la soutenabilité de la dette et, d’autre part, de sa justification.

La question de la soutenabilité de la dette recouvre la capacité des ménages, des entreprises, et celle des Etats, à honorer leurs engagements à court, moyen et long terme. Au-delà de seuils d’endettement jugés excessifs, pour un ménage en fonction de ses revenus, pour une entreprise en fonction de son chiffre d’affaires, pour un Etat en fonction du PIB, toujours très difficiles à établir et à justifier, il s’agit surtout de s’intéresser à la trajectoire de la dette et aux moyens de la stabiliser. La crise de la zone euro, dans les années 2011-2012, a montré qu’il était loin d’être optimal d’implémenter des politiques de rigueur budgétaire et de désendettement en temps de crise. Le risque encouru est que les excédents primaires attendus grâce à la rigueur (baisses de certaines dépenses et/ou hausse des taux de prélèvement) soient plus que compensés par une chute des recettes fiscales à cause d’un ralentissement encore plus marqué de la croissance, par l’effet du multiplicateur.

Il faut s’interroger alors sur les conditions d’une croissance potentielle plus solide, seul moyen de dégager de la richesse et donc des recettes : des revenus futurs pour les ménages, des marchés solvables pour les entreprises, des taux de croissance élevés pour dégager des rentrées fiscales du côté des Etats permettant de couvrir leur dette. La question de la soutenabilité de la dette est alors liée à celle du régime de croissance économique dans l’avenir. En particulier, elle suppose des investissements publics et privés massifs susceptibles de dégager des externalités économiques, sociales et environnementales bien supérieures au coût de leur financement et qui peuvent contribuer, sur le plan macroéconomique, au remboursement de la dette accumulée. La poursuite de l’endettement, dans certaines limites, peut alors trouver toute sa justification face à l’ampleur des investissements requis pour assurer les transitions industrielles, énergétiques, environnementales, voire sociétales… Pour cela, les capacités de financement des uns doivent impérativement répondre aux besoins d’investissement des autres, dans le cadre de projets de long terme exigeant une mobilisation de l’épargne, elle-aussi, à long terme. C’est la croissance de demain qui assurera la soutenabilité de la dette d’hier, rendant l’endettement non seulement raisonnable mais aussi nécessaire.

On le voit, l’interrogation liminaire quant aux limites de l’endettement recouvre de nombreuses questions, de caractère purement budgétaire ou financier, s’agissant notamment des risques de crises financières que le surendettement peut induire, mais relevant aussi, voire surtout, de l’économie réelle. Plus spécifiquement, comment créer les conditions d’une vague d’innovations permettant de relever la productivité, de stimuler la croissance potentielle en visant une allocation plus juste et plus durable du capital, tout en mobilisant un endettement pour des ménages, des entreprises et des Etats qui reste soutenable ?
Le caractère systémique de la question de la dette, qu’elle soit publique ou privée, rend particulièrement difficile la réponse à ces interrogations. Ainsi, différentes propositions vont être évoquées et débattues dans le cadre de la session 20 des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2023, intitulée « Un endettement sans fin est-il raisonnable ?», qui aura lieu le samedi 8 juillet de de 9h15 à 10h15

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