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Terres Rares : l’Europe prise en étau ?


Environnement | L'Europe et le monde

Ecrit pour la session 24 – Une exploitation durable des métaux stratégiques est-elle possible ?

 Anticipation stratégique et innovation de rupture, clés de succès au siècle des métaux.

 Avant d’être numérique, le 21e siècle est avant tout le siècle des métaux. Car malgré leur impact environnemental (sols, eau, CO2…), les métaux sont indispensables à la transition énergétique : le lithium est clé pour les batteries des voitures électriques, avec une demande qui pourrait être multipliée par 18 dans l’UE d’ici 2035, tandis que les éoliennes offshores ont besoin d’aimants permanents à base de néodyme ou de dysprosium – raffinés à plus de 85% en Chine. Les métaux, et en particulier les terres rares, sont également incontournables dans le monde digital, des data centers aux mobiles.

Cette importance en fait des éléments ‘détournables’ géopolitiquement. Notre dépendance est criante, d’autant plus que l’Europe est le premier continent à s’être fixé des caps aussi ambitieux que l’interdiction des voitures thermiques en 2035 ou la neutralité carbone en 2050 – au moment où la Chine a patiemment construit depuis 15 ans sa position de leader sur l’ensemble de la chaîne de valeur (extraction, raffinage, production). Alors que l’instrumentalisation des ressources par la Russie a cuisamment révélé le manque d’anticipation européenne, il faut une action beaucoup plus résolue pour contrer notre dépendance aux métaux chinois. Et la Chine commence à faire mal: limitation des exportations vers le Japon en 2010, rumeurs début 2023 quant à une restriction de l’export du polysilicium (matière première des panneaux solaires). Coup de tonnerre voici quelques jours avec des licences export pour le gallium et le germanium, clés pour les semiconducteurs, le photovoltaïque, la 5G ou l’électronique de puissance des véhicules électriques. Deng Xiaoping déclarait que ’Le Moyen-Orient a du pétrole ; la Chine a les terres rares’. Songeons à notre dépendance aux décisions de l’OPEP – souhaitons nous que notre croissance ou la décarbonation de nos économies dépendent des décisions du Parti Communiste Chinois ?

Réduire notre dépendance est possible. Le Japon l’a prouvé, qui a diminué de près de 60% ses importations de terres rares depuis la Chine entre 2010 et 2018 —l’Europe, par l’importance de son marché, peut aller beaucoup plus loin, à condition d’être stratégique et de mettre en œuvre ses grandes annonces politiques. D’abord en réduisant la demande : des ruptures technologiques sont nécessaires pour augmenter le recyclage du Lithium par exemple, aujourd’hui jusqu’à 3x plus cher que venant d’une mine, ou en mettant en place une ‘sobriété minérale’ pour les produits métaux-intensifs. Voire pousser les vendeurs de smartphone ou constructeurs automobiles à utiliser des batteries made in Europe s’ils veulent avoir accès au marché européen ?

L’incitation à elle seule ne sera pas suffisante : une taxonomie sur les minerais est essentielle (actuellement l’extraction n’est pas dans la taxonomie verte — ce qui n’incite pas aux investissements miniers). Il est tout aussi nécessaire d’accélérer la délivrance des permis (plus de 10 ans aujourd’hui entre découverte et exploitation). Enfin, la diversification d’approvisionnement sera critique, ce qui impose un travail interdisciplinaire entre les différents acteurs gouvernementaux.

La solution long terme viendra de l’innovation. Découvrir de nouveaux matériaux grâce à l’IA est possible (IBM avait annoncé une batterie révolutionnaire par ce procédé, à confirmer) et surtout l’immense potentiel de la biologie de synthèse pour produire ce qui était autrefois extrait, pour passer d’une économie de l’extraction à celle de la génération, pour produire des matériaux alternatifs avec des qualités équivalentes voire supérieures. Il faut rendre nos pays résilients avec des usines de batteries mais veiller à investir aussi dans la prochaine génération pour rebattre les cartes d’un marché déjà contrôlé à plus de 70% par les opérateurs chinois. Enfin il faut des ‘Moonshots’ sur la synthèse et le recyclage, qui ne viendront pas que des acteurs existants qui, malgré leurs compétences, auront toujours du mal à radicalement changer les procédés qui ont fait leur fortune.  

Puisque le Vieux Continent est à la fois le plus exigeant en termes de développement durable, et le moins extracteur de ses ressources, c’est à lui de développer des approches stratégiques innovantes, et de nouveaux procédés technologiques pour rester au cœur du siècle des métaux.

 André Loesekrug-Pietri, Président, et Romain Forestier, Directeur de Recherche, de la Joint European Disruptive Initiative (JEDI), l’initiative européenne pour l’innovation de rupture, l’ARPA européenne (www.jedi.foundation et @eurojedi)

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