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Récession : évitée ou différée ?


Macroéconomie

La récession qui était annoncée n’a pas encore eu lieu. Cela ne veut pas dire pour autant que nous l’avons évitée, explique André Cartapanis. Après un état des lieu de la situation économique, il présente le scénario le plus crédible qui permettrait d’éviter une récession en 2024.

Écrit pour la session 2 – Récession : évitée ou différée ?

Malgré la remontée des taux d’intérêt en réponse au rebond de l’inflation, la récession annoncée n’est pas là. Tout au plus observe-t-on un net ralentissement de l’activité. Cette récession a-t-elle été évitée ou bien a-t-elle été différée, dans le double contexte d’une sortie de crise et d’une transition vers un nouveau régime de croissance ?

Commençons par l’état des lieux quant à la situation de l’économie mondiale récemment dressé par le FMI.

Dans le scénario de référence, qui suppose que les récentes tensions du secteur financier seront maîtrisées, la croissance chute de 3,4 % en 2022 à 2,8 % en 2023, avant de se redresser lentement et de s’établir à 3,0 % dans les cinq ans, ce qui représente les prévisions à moyen terme les plus pessimistes depuis plusieurs décennies. Les pays avancés devraient connaître un ralentissement particulièrement marqué de leur activité économique, avec un taux de croissance chutant de 2,7 % en 2022 à 1,3 % en 2023. Dans un autre scénario plausible avec une amplification des tensions sur le secteur financier, la croissance mondiale chute aux alentours de 2,5 % en 2023, soit le taux le plus faible depuis le ralentissement de l’économie mondiale en 2001 (si l’on excepte le début de la crise de la COVID-19 en 2020 et la période de la crise financière mondiale de 2009) ; dans les pays avancés, la croissance passe sous la barre de 1 %. Ces perspectives en berne s’expliquent par le déploiement de mesures rigoureuses nécessaires pour enrayer l’inflation, les répercussions de la récente détérioration des conditions financières, la poursuite de la guerre en Ukraine et une fragmentation géoéconomique croissante (…). Les risques de dégradation des perspectives restent très élevés et la probabilité d’assister à un atterrissage brutal a fortement augmenté. Les tensions du secteur financier pourraient s’amplifier et créer un phénomène de contagion, ce qui affaiblirait l’économie réelle à cause d’une forte détérioration des conditions de financement et obligerait les banques centrales à revoir leurs orientations. Dans un contexte d’augmentation des coûts de l’emprunt et de ralentissement de la croissance, les situations de surendettement de certains États pourraient se propager jusqu’à prendre une dimension plus systémique

FMI, Perspectives de l’économie mondiale, avril 2023

Cet état des lieux n’est pas sans rappeler les configurations macroéconomiques qui ont marqué les périodes d’après-guerre au siècle dernier : la crise de reconversion de 1920 suivie d’un choc inflationniste, avant l’expansion que viendra interrompre la crise financière de 1929 ; les à-coups de la reconstruction après 1945, le retour de l’inflation et l’instabilité macroéconomique (taux d’inflation, taux de croissance, déficits budgétaires) justifiant les politiques de stop and go, aux Etats-Unis après 1948, et en Europe dans les années 1950.

La recette de l’incertitude économique

Pour revenir à 2023, avec cette analyse du FMI le décor est campé, et tous les ingrédients de la forte incertitude pesant sur la croissance mondiale sont clairement identifiés :

  • Le rebond de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt ne vont-ils pas brider la demande globale et provoquer un nouveau repli de l’activité ? et si les chocs d’offre à l’origine de l’inflation, au-delà de l’ancienne cible des 2%, s’avèrent durables, la poursuite des politiques monétaires restrictives ne risque-t-elle pas d’être contreproductive et d’installer un régime de stagflation ?
  • Est-il opportun, en phase basse du cycle, d’engager des consolidations budgétaires afin de stabiliser, voire de réduire, l’endettement des Etats ?
  • Les politiques monétaires restrictives ne vont-elles pas alimenter l’instabilité financière et fragiliser, tant les marchés d’actifs que les intermédiaires bancaires, à l’image des tensions récemment observées aux Etats-Unis ou en Suisse, au risque de déclencher une nouvelle crise systémique ? et cela ne risque-t-il pas de provoquer des défauts souverains dans les nombreux émergents surendettés en devises et soumis à la hausse des taux et des primes de risque, et donc de déclencher un nouveau choc global ?
  • Et comment, dans ces conditions, engager et étendre à vaste échelle la transition vers un nouveau régime de croissance respectant l’impératif de la neutralité carbone et le contrôle du réchauffement climatique, auquel on doit maintenant ajouter les politiques de réarmement et la nouvelle mondialisation respectant les exigences de souveraineté et de résilience ?

Il y a mille façons d’analyser ces questions, notamment sous l’angle des politiques macroéconomiques à mener, des réglementations à adapter (environnementales, prudentielles…), de la coordination des réponses nationales, à l’échelle nationale, européenne ou au plan mondial… Chaque participant à cette session, « Récession : évitée ou différée ? », pourra choisir son angle d’attaque : macroéconomique, financier, microéconomique, industriel, géopolitique, social, historique…

Deux types d’acteurs au cœur des défis

Mais au cœur de tous ces défis, ceux qui hypothèquent la croissance à court terme et laissent craindre une nouvelle récession, et ceux dont dépend la transition d’après-crise, figure l’investissement, tant public que privé. Son niveau, son orientation sectorielle, sa localisation, ses déterminants à court et moyen terme… D’une part, en tant que composante de la demande globale et élément moteur du cycle économique à court et moyen-terme. Et, d’autre part, à plus long terme, comme vecteur clé de la recomposition de l’offre à l’aune du verdissement de l’économie, de la digitalisation, de l’extension d’une économie de services et, désormais, de l’appropriation de l’intelligence artificielle.

Du côté des Etats, les besoins d’investissements publics sont considérables dans le domaine de l’énergie, du logement et des transports, mais aussi de la recherche et de la formation. Mais s’ajoutant à la chute de la croissance en 2023 et sans doute encore en 2024, leur financement par l’impôt ou l’emprunt est-il compatible avec la poursuite des politiques monétaires restrictives et les rappels à l’ordre sur la fin du quoi qu’il en coûte et l’impératif de désendettement public ?

Du côté des entreprises, l’adaptation des appareils productifs à la révolution environnementale et digitale exige des investissements non moins considérables. Le secteur privé, en général, dispose de réelles marges de liberté pour financer ces investissements. Depuis la sortie de la crise du COVID et le choc de la guerre en Ukraine, et malgré le retour de l’inflation, les marges de profit se sont largement rehaussées et le partage de la valeur ajoutée ne s’est pas dégradé au détriment des entreprises, contrairement aux années 1970 au moment des chocs pétroliers. L’épargne disponible, sur les marchés d’actions ou d’obligations, ne fait pas défaut. Mais pour les grandes entreprises, la logique actionnariale qui prévaut encore conduit à d’importants rachats d’actions ou à des fusions-acquisitions qui amputent d’autant l’investissement productif. Quant aux petites et moyennes entreprises, leur investissement reste dépendant des coûts de financement, auprès des banques ou sur les marchés, et elles se trouvent donc pénalisées par les taux d’intérêt élevés. Ainsi, en France, selon l’OFCE, après une forte augmentation en 2022, le taux d’investissement des entreprises se stabiliserait en 2023 à un faible niveau, sous l’effet de la remontée des taux d’intérêt : à peine + 0,1% au premier trimestre 2023 et seulement + 0,3% pour les trois trimestres suivants (OFCE, Le prix de l’inflation, Perspectives 2023-2024 pour l’économie française, Policy brief, N° 114, 13 avril 2023).

La grande transformation simposera-t-elle ?

A l’évidence, pour la France comme à l’échelle de l’économie mondiale, seul un choc d’investissement massif, public et privé, paraît de nature à soutenir le taux de croissance fin 2023 et en 2024, à éviter tout nouveau risque de récession, et à accentuer dans le même temps une transition verte, et donc la grande transformation des systèmes productifs que cela impose. La voie empruntée par les Etats et les banques centrales, notamment en Europe, est-elle la bonne ? Quels sont les blocages de nature à hypothéquer ce scénario, du côté des entreprises ? Quels sont les chocs ou les menaces qui pourraient le contrecarrer ? Telles sont les principales questions auxquelles les participants à la session « Récession : évitée ou différée ? » des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2023, sont invités à répondre.

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