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Moins d’iniquités horizontales pour plus de justice fiscale


Macroéconomie | L'Europe et le monde

Écrit pour la session 12 – Vers plus de justice fiscale

Par-delà les époques, beaucoup d’économistes réformistes placèrent de grands espoirs dans la fiscalité, conçue comme un moyen de parvenir à la société souhaitée. Une société plus juste et plus équitable. Or ces principes de justice et d’équité ne signifient nullement une égalité de traitement mais supposent une répartition de charges et d’efforts en fonction des capacités contributives de chacun, des situations familiales ou professionnelles propres et enfin du champ d’application de l’impôt. Ils exigent de tous une même conformité et un civisme fiscal irréprochable. Le principe d’équité peut ainsi prendre deux formes distinctes : l’équité verticale qui cherche à diminuer les écarts de niveau de vie entre les ménages et qui se veut distributive et à sacrifice égal. Tandis que l’autre forme, plus complexe, consiste en une équité horizontale qui énonce que deux personnes dans la même situation devraient avoir les mêmes droits et les mêmes obligations. Or, force est de constater qu’avec l’évolution des échanges internationaux et le développement interne des états ces objectifs n’ont pas toujours été atteints du fait notamment d’exemptions ou de privilèges fiscaux inadaptés ou inéquitables ; auxquels s’ajoutent les flux financiers illicites nés de déséquilibres structurels qui privent les économies nationales de ressources importantes au financement de leurs actions sociales. Cette « iniquité » horizontale ayant fini par devenir source d’inefficacité économique et de malaise social.

Iniquité horizontale comme source d’inefficacité économique et de malaise social

Au nombre des exemples les plus marquants ayant favorisé cet état des choses, nous trouvons en premier lieu la pléiade de mesures incitatives et d’allègements fiscaux inadaptées consenties originellement par les états dans une finalité économique et sociale. En second lieu, comment ne pas évoquer la position dominante extraterritoriale des grandes sociétés multinationales et des géants du net qui leur permet une intrusion libre dans des pays aux faibles structures pour concurrencer les entreprises locales, favoriser l’économie parallèle et priver ces pays de ressources importantes pour leur développement et le bienêtre de leurs populations.

Les Incitations Fiscales inadaptées 

Il est aujourd’hui unanimement reconnu que l’utilisation de l’impôt comme levier dans une finalité extérieure à sa fonction traditionnelle de couverture des charges publiques doit être effectuée avec beaucoup de mesure et de minutie. Utiliser l’instrument fiscal par le biais d’incitations à des fins d’interventionnisme et de régulation conjoncturelle peut s’avérer utile a priori pour orienter l’économie et la développer comme pour instaurer une certaine équité fiscale par le biais de la redistribution des richesses que la seule progressivité des impositions ne peut assurer. Néanmoins, cette utilisation peut aussi s’avérer, à certains égards, contreproductive aussi bien au niveau structurel qu’au niveau sectoriel et donc mener à des résultats tout à fait contraires à ceux escomptés. Tout en précisant, si besoin est, que les incitations fiscales sont par essence génératrices de discriminations, mais peuvent être admise constitutionnellement à titre dérogatoire si elles concourent à l’intérêt général.

Il en résulte ainsi que tout jugement porté sur une politique incitative découle indéniablement de l’efficacité des dispositions adoptées, c’est-à-dire assez largement du degré de réalisation des objectifs affichés.

A ce titre, plusieurs exemples de contre productivité peuvent être identifiés comme en matière de baisse des impôts sur le capital dans le but de favoriser les investissements mais qui aboutit le plus souvent à des résultats contraires du fait qu’il s’avérera plus lucratif pour les bénéficiaires d’épargner que d’investir ou de consommer privant ainsi le Trésor public de subsides importants pour la réalisation de projets d’intérêt général assurant une plus grande égalité des chances. Au même titre, une politique de stimulation de l’activité immobilière par la réduction ou la suppression de droits d’enregistrement et de transfert ou par l’exemption d’impôt foncier en cas de vacance des lieux peut mener à un surplus d’unités inadaptées ouvrant la voie à une crise du secteur et à un accès plus difficile au logement pour une partie significative de la population ; bloquant par là même un secteur important de l’économie. Sans oublier aussi les nombreuses autres mesures adoptées sous le couvert des incitations et qui vont à l’encontre des conceptions de justice fiscale comme les amnisties et les régularisations fiscales.

Position dominante des multinationales et des géants du net

Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui que les grandes multinationales et notamment les géants du net ont acquis une dimension mondiale extraterritoriale et une puissance telle qu’ils bénéficient de positions dominantes et d’une intrusion libre dans des pays à faibles structures étatiques pour concurrencer les entreprises locales et priver les économies nationales de ressources importantes. Ressources qui auraient pu servir aux investissements dans les infrastructures et l’innovation ainsi que dans les services publics ; contribuant ainsi à plus d’équité et de justice sociale. Cette situation favorise par ailleurs l’économie informelle et les évasions fiscales qui privent le Trésor public de revenus indispensables et accentuent l’iniquité fiscale horizontale. Or, le poids de ces géants est tel dans l’économie mondialisée que tout changement dans leur mode opératoire notamment fiscal entrainerait leur retrait et la discontinuité de leurs services dans les économies fragiles ou dépendantes avec toutes les conséquences désastreuses qui en découleraient. C’est pourquoi, de nombreux états ont commencé à réfléchir à une régulation fiscale adaptée aussi bien sur le plan local que sur le plan international afin de contrer ces dérives et d’appliquer des règles très strictes à ces géants qui abusent des traités internationaux pour cacher ou minorer leurs immenses bénéfices tout en utilisant abondamment les réseaux et autres infrastructures locales sans en assumer les contraintes, notamment financières. Ceci se précise d’ailleurs aussi bien au niveau de l’OCDE qui s’emploie à développer des cadres inclusifs et des clauses anti-abus (Forum Mondial, BEPS et MDR) et à les diffuser à très large échelle ; qu’au niveau des Nations-Unis qui ont récemment lancé par le biais du groupe d’experts de haut-niveau FACTI Panel, toute une série de recommandations concertées visant à assurer les ressources nécessaires au développement durable dans le cadre des objectifs ODD fixés par le programme d’action d’Addis Abeba à l’horizon 2030. L’effet conjugué de ces deux cadres inclusifs et coopératifs devrait aboutir à l’établissement de règles de déclarations et de reporting dans chaque pays du circuit économique qui permettrait une répartition plus équitable de l’impôt et entrainerait dans son sillage une meilleure identification des cocontractants résidents fraudeurs afin que chacun paye en définitif sa juste part d’impôt.

L’espoir est donc permis pour sortir de ce cercle vicieux et aboutir à plus de justice fiscale. Cependant une démarche unilatérale des états, bien que nécessaire pour l’assainissement du paysage et l’inclusion fiscale, n’aurait que peu de sens si elle ne s’accompagne pas d’une démarche internationale concertée pour promouvoir la transparence et lutter contre l’érosion de la base imposable.


Karim DAHER

Avocat d’affaires & Chargé d’enseignement d’économie publique et de droit fiscal

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