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 Les banques centrales, paratonnerres des crises ?


Macroéconomie | Les pays

Écrit pour la session 39 –  Les banques centrales, paratonnerres des crises ?

Les banques centrales sont nées de la nécessité de garantir, notamment dans les épisodes de « bank runs », la liquidité des systèmes bancaires ; ce qui leur conférait en même temps un devoir de supervision. Mais nombre d’entre elles ont trouvé leur origine dans l’urgence de répondre à des chocs budgétaires généralement liés à des conflits armés : ce fut par exemple le cas pour la Swedish Riksbank en 1688 ou pour la banque d’Angleterre en 1694. Or durant les 15 dernières années les banques centrales des pays avancés, face à une crise financière globale puis à une pandémie, ont été ramenées à ces missions historiques.

Est-ce à dire qu’en remisant temporairement leur principal objectif de régulation macroéconomique, elles ont joué un rôle de « paratonnerres des crises » ? La réponse dépend évidemment de la signification que l’on donne à l’expression : fait il comprendre que l’on prête aux banques centrales le pouvoir de neutraliser les crises ou simplement la capacité d’en réorienter et d’en transformer l’impact ? Cette question en suggère d’ailleurs une autre : leur rôle n’est il pas aussi et surtout de participer à la prévention des crises en même temps qu’à leur résolution ?

Neutraliser les crises ou en dévier l’impact ?

Lorsque la crise des « subprimes » s’est déclaré, les autorités monétaires ont très vite réagi en jouant leur fonction de prêteur et de teneur de marché en dernier ressort pour éviter l’illiquidité des institutions financières et le gel de leurs échanges. On a ainsi évité l’effondrement des systèmes financiers et donc modéré les conséquences du choc. Mais ce sauvetage n’a pas empêché le déclanchement d’une « Grande Récession » qui a sollicité l’intervention des politiques budgétaires et conduit à une forte augmentation des taux d’endettement public. Le choc n’a donc pas été neutralisé et dans les années suivantes il s’est traduit par un affaissement des taux de croissance, une crise des dettes publiques dans la zone euro et une baisse des taux d’inflation qui a limité la capacité d’action des politiques monétaires.

De sorte que lorsque la crise sanitaire est survenue, cette limitation associée à la crainte d’une déflation a imposé une prédominance de la politique budgétaire dans un policy mix recomposé : les banques centrales ont accompagné, si ce n’est incité, un laxisme budgétaire peut être excessif. Cette réaction n’a pourtant pas permis de résorber le coût du choc sanitaire (augmenté par celui de la guerre en Ukraine). Comme dans la crise précédente on a évité son amplification par des anticipations et des comportement déstabilisants. Mais l’augmentation de l’endettement public indique que le paiement de ce coût a été reporté dans le temps, tandis que le retour de l’inflation reflète le conflit qui s’est noué concernant sa répartition entre les agents.

Reste toutefois à se demander si, dans les deux cas, une meilleure coordination entre les politiques monétaires et budgétaires n’auraient pas permis un meilleur traitement des chocs.

 Prévenir les chocs.

Quoi qu’il en soit si les banques centrales ne peuvent prétendre neutraliser que très partiellement les crises, elles ont aussi la capacité de les prévenir. D’ailleurs, comme il a été dit, leur rôle de supervision du système bancaire a précédé leur fonction de régulation monétaire, et la crise des « subprimes » a conduit à renforcer leur implication en ce domaine, tout en durcissant le contenu des réglementations micro et macroprudentielles. Les événements récents ont démontré que cette évolution était très justifiée et qu’elle mériterait d’être complétée. Plus généralement il semble que l’on se soit maintenant convaincu que la poursuite de la stabilité des prix ne suffisait pas à assurer la stabilité financière. Ce qui devrait inciter les banques centrales à revenir sur les conclusions du débat concernant la maitrise des bulles des prix d’actifs (Lean vs Clean). Elles pourraient aussi accorder une plus grande attention aux travaux empiriques qui ont montré que le fait de maintenir des taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps était porteur de risques financiers. Le passé récent en a fourni de nouvelles preuves.

Mais les risques que les banques centrales sont susceptibles de prévenir n’ont pas pour seule origine des dysfonctionnements internes aux systèmes financiers. Depuis quelque temps elles se sont montré préoccupées par la montée des risques environnementaux et ont commencé à prendre des initiatives pour tenter d’y répondre. La démarche est logique et ne s’écarte pas de leur domaine de responsabilité puisque ces risques peuvent affecter la stabilité bancaire (par dévalorisation des actifs en portefeuille). La politique monétaire et plus encore les politiques de régulation peuvent sans doute participer à leur prévention en réorientant les investissements pour les rendre plus conforme aux projets de transition écologique.

Au-delà, certains ont évoqué la prise en compte des inégalités de revenus et de patrimoines que les décisions monétaires sont censées affecter et dont le développement présente un risque systémique. On peut encore ajouter les risques générés par l’excessif étalement géographique des chaines de valeur qui appellent des relocalisations que des financements privilégiés pourraient accélérer.

Sans doute l’action des politiques monétaires pourrait être efficace dans la prévention de ces risques et de bien d’autres encore, mais leur utilisation se heurte toutefois à quelques réserves :

  • D’une part, dans certains des cas évoqués la prévention prend la forme d’une sorte de politique sélective du crédit, ignorant le principe de neutralité de marché qui était un pilier de la conception dominante du « Central Banking ».
  • D’autre part, il n’est guère possible de fixer aux banques centrales de trop nombreux objectifs par rapport à la gamme limitée de leurs instruments.
  • Enfin, il faut éviter de leur confier des fonctions qui soient trop en interactions avec les autres composantes des politiques économiques dans la mesure où cela suppose des coordinations susceptibles de remettre en cause leur indépendance.

Alors que pendant les années de « Grande Modération » on avait étroitement limité la mission des banques centrales, jusqu’où peut-on aujourd’hui se permettre d’en étendre le champ ?

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