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L’énergie est-elle entrée dans l’ère la post-globalisation ?


Environnement | Plénière

Écrit pour la plénière 3 – Énergie, l’heure des choix ?

En avril 2022, la Secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, a prôné la recherche d’un friendshoring, c’est-à-dire des relations commerciales entre partenaires de confiance et une localisation des investissements dans ce périmètre.

Favoriser la ‘délocalisation amicale’ des chaînes d’approvisionnement vers un grand nombre de pays de confiance, afin que nous puissions continuer à étendre l’accès au marché en toute sécurité, réduira les risques pour notre économie, ainsi que pour nos partenaires commerciaux de confiance

Yellen, Way Forward for the Global Economy, Atlantic Council, April 13, 2022

La guerre en Ukraine a conduit à une mise en application de cette injonction, les Européens devant réorganiser leurs approvisionnements énergétiques dans l’urgence et restaurant auprès « d’amis » (États-Unis, Norvège, …) la sécurité d’approvisionnement mise à mal suite à l’agression russe. Les conséquences économiques du conflit ont largement dépassé les frontières de l’UE, en perturbant à la fois les routes mondiales d’acheminement des hydrocarbures (embargos, restrictions de l’assurance des tankers), ainsi que le niveau et les mécanismes de formation des prix (prix-plafond, rabais forcés, …). En conséquence, le monde énergétique tend à se recomposer entre un « marché russe » (les pays qui acceptent de commercer avec la Russie) et un « marché non russe » (les autres), avec des passerelles (comme l’Inde qui raffine du brut russe en partie réacheminé vers l’Europe).

Cette crise pourrait annoncer une ère de post-globalisation. Elle fait aussi apparaître, d’emblée, les limites du friendshoring : si les États-Unis ont été les principaux pourvoyeurs de gaz naturel liquéfié vers l’Europe (en compensation partielle de la chute des approvisionnements russes via les gazoducs transeuropéens), le plan américain de lutte contre l’inflation (Inflation Reduction Act) est fondé sur un subventionnement massif des investissements décarbonés qui met l’industrie européenne au défi.

Surtout, ces fractures accroissent l’indétermination dans la lutte contre le changement climatique. D’un côté, l’Accord de Paris repose foncièrement sur des mécanismes de coopération qui sont peu dans l’air de ces temps guerriers ; mais, d’un autre, cette crise énergétique vient révéler l’ampleur des risques d’une dépendance aux énergies fossiles (tout en tirant leurs prix vers le haut), qui ne peut qu’inciter à accélérer les efforts de décarbonation. Comme le constate dès à présent l’Agence internationale de l’énergie :

La dynamique des investissements dans les énergies propres résulte d’un puissant alignement des coûts, des objectifs de sécurité climatique et énergétique et des stratégies industrielles. […] Pour chaque dollar dépensé dans les combustibles fossiles, 1,7 dollar est désormais consacré aux énergies propres. Il y a cinq ans, ce rapport était de 1 pour 1.

Agence internationale de l’énergie, World Energy Investment, May 2 2023.

Cette dynamique positive des investissements n’est pas répartie uniformément entre les pays ou les secteurs : plus de 90 % de l’augmentation depuis 2021 sont concentrés dans les économies avancées et en Chine. Des cadres institutionnels fragiles, des services publics financièrement limités et un coût du capital élevé freinent l’investissement dans de nombreux autres pays. En outre, les prix de certaines technologies clés des énergies propres ont augmenté depuis deux ans, à cause de la hausse des prix des minéraux critiques, des semi-conducteurs et des matériaux comme l’acier et le ciment.

L’Europe se positionne plus que jamais comme le point d’équilibre entre les marchés atlantique et asiatique de l’énergie et des matériaux critiques pour la transition. Si l’hiver 2022 est passé sans épisodes de rupture d’approvisionnement majeures en énergie fossile ou même de coupures de courant électrique, c’est grâce au patchwork, complexe et inédit jusque-là, des décisions politiques, dynamiques de marchés, phénomènes météorologiques et efforts volontaires de sobriété. Résolument tourné vers le futur, le Vieux Continent s’achemine non sans peine vers un nouveau sentier où les efforts pour baisser la demande d’électricité, pétrole et gaz ne devront pas s’arrêter pour, bien au-delà de la crise de l’énergie, atteindre la neutralité carbone (Creti A., Geoffron P., Vers des échanges d’énergie « entre amis » ?, L’économie Mondiale 2024, CEPII, Repères, La Découverte).

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