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La santé numérique : une réponse aux défis de l’accès aux soins en France ?


Écrit pour la session 3 – Est-il possible de garantir l’accès aux soins ?

Recours à l’intelligence artificielle pour prédire les épidémies, aux jumeaux numériques pour les essais cliniques, aux robots chirurgicaux…, la transformation digitale du secteur de la santé semble bel et bien engagée. Correspondant à « l’application des technologies de l’information et de la communication à l’ensemble des activités en rapport avec la santé »[1], la santé numérique recouvre un ensemble de solutions numériques variées allant des systèmes d’information hospitaliers à la télémédecine en passant par le vaste champ de la télésanté (Habib et al., 2017).  Quelles que soient les solutions considérées, la santé numérique fait figure de levier d’action prometteur pour offrir une meilleure et plus grande couverture sanitaire par une efficacité accrue des services de santé. L’accélération de ses usages devient dès lors une priorité stratégique en France[2] compte tenu de la complexité et de la diversité des défis à relever : augmentation de la demande de soins, dégradation de l’offre de soins, disparités géographiques et socio-économiques, inflation des coûts de santé, etc.

Derrière les dernières innovations technologiques en santé, se trouve toutefois la longue histoire de la santé numérique dont la trajectoire de déploiement a parfois été semée d’embûches. Depuis les premiers projets de dossier patient informatisé dans les années 70, la trajectoire d’informatisation des systèmes de santé peut sembler considérable. Elle l’est, bien évidemment, mais ne doit pas pour autant masquer les difficultés récurrentes liées à l’appropriation de ces technologies.

La télémédecine, étroitement liée à la problématique de l’accès aux soins, permet d’illustrer ces difficultés et les tensions inhérentes à la diffusion des technologies de santé numérique pour renforcer les systèmes de santé.

Les bénéfices potentiels de la télémédecine pour garantir l’accès aux soins

La télémédecine, définie comme une pratique médicale réalisée à distance, pourrait permettre un meilleur accès à l’expertise médicale et ainsi réduire les inégalités d’accès aux soins (Oliveira Hashiguchi, 2020). Or en France, les déserts médicaux n’ont cessé de progresser ces dernières années en changeant également de nature pour dépasser largement la problématique des territoires ruraux. La télémédecine est également susceptible d’améliorer la qualité des soins en facilitant la collaboration entre médecins, soignants et patients tout en maîtrisant les coûts de santé (Yeow et Goh, 2015).

Malgré ses potentiels bénéfices et l’accès à des technologies performantes, le développement de la télémédecine s’est opéré très timidement. En France, les téléconsultations représentaient seulement 3% des consultations totales en septembre 2020[3]. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, elles restaient également très marginales (Oliveira Hashiguchi, 2020).

Une accélération inédite de la télémédecine pour faire face à la pandémie COVID-19

Le contexte de l’état d’urgence sanitaire a engendré une accélération sans précédent de la télémédecine. La prise en charge médicale à distance est, en effet, apparue comme le moyen de freiner la transmission du virus tout en assurant une continuité des soins. Au plus fort de la crise en France en avril 2020, 4,5 millions de téléconsultations ont été remboursées par l’assurance maladie (contre 40000 en février 2020)[4]. Sur l’ensemble de l’année 2020, les actes remboursés de téléconsultation ont atteint 19 millions[5].  

Quels impacts sur l’accès aux soins ?

Malgré cette accélération durant la crise sanitaire, il convient d’interroger les impacts de la télémédecine sur l’accès aux soins. Une étude de la DRESS montre que, sur la période 2019-2021, les téléconsultations ont concerné pour près de 70 % des patients résidants dans les grands pôles urbains et ont été majoritairement réalisées à proximité du domicile des patients (Kamionka & Bergeat, 2022). L’étude poursuit en indiquant que, « même si la possibilité technique de consulter un médecin éloigné de leur domicile pourrait a priori accroître l’offre de soins de premier recours pour les patients résidant en zone peu dotée en médecins généralistes, les consultations à distance n’ont pas beaucoup plus concerné les patients de ces territoires » (ibid, p.5). En outre, la patientèle y ayant eu recours concerne « plus largement des femmes, des patients jeunes et peu précaires » (ibid, p.4). Ce constat est similaire dans d’autres pays, puisque l’étude internationale de l’OCDE (2023) note que les habitants des territoires ruraux, les patients modestes, et les personnes âgées semblent avoir eu moins recours à des téléconsultations que les autres catégories de patients. A l’épreuve des données empiriques, la télémédecine semble ainsi avoir autorisé davantage une continuité de soins qu’un meilleur accès aux soins susceptible de limiter les disparités géographiques voire socio-économiques. Sur ce point essentiel, l’étude de l’OCDE alerte même sur la possibilité que le recours massif à la télémédecine ait pu au contraire renforcer les inégalités d’accès aux soins existantes.

Compte tenu du ralentissement logique de la télémédecine en France post crise sanitaire, il pourrait être intéressant de continuer à analyser ses usages et leurs impacts effectifs afin de les orienter vers un objectif d’amélioration de la couverture sanitaire. Il en va de même pour l’ensemble des dispositifs de santé numérique. Au vu des enjeux liés à leurs usages dans le système de santé français, il conviendrait de les évaluer systématiquement afin de limiter les phénomènes d’exclusion numérique en santé et d’éviter éventuellement d’autres désillusions.


Johanna Habib, Professeur des Universités

Aix-Marseille Université, Faculté d’Economie et de Gestion – Laboratoire CERGAM


Références :

Habib, J. Béjean, M. & Dumond, J-P. (2017), «Appréhender les transformations organisationnelles de la santé numérique à partir des perceptions des acteurs», Systèmes d’Information et Management, 22(1), 39-69.

Kamionka, J. & Bergeat, M. (DREES, 2022), « Sept téléconsultations de médecine générale sur dix concernent en 2021 des patients des grands pôles urbains ». Études et résultats, novembre 2022, 1249.

OCDE (2023), « The COVID-19 Pandemic and the Future of Telemedicine », OECD Health Policy Studies, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/ac8b0a27-en

Oliveira Hashiguchi, T. (2020), « Bringing health care to the patient : An overview of the use of telemedicine in OECD countries », Documents de travail de l’OCDE sur la santé, n° 116, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/8e56ede7-en.

Yeow, A. & Goh, KH. (2015), “Work harder or work smarter? Information Technology and resource allocation in healthcare processes”, MIS Quarterly, 39(4), 763-785.


[1] Définition retenue par la Commission européenne.

[2] cf. Stratégie d’accélération « Santé Numérique » dans le Plan France 2030

[3] Source : Ameli, https://assurance-maladie.ameli.fr/presse/2020-09-16-cp-teleconsultation-anniversaire

[4] ibid

[5] Source : https://www.mutualite.fr/actualites/19-millions-nombre-de-teleconsultations-remboursees-par-lassurance-maladie-en-2020/

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