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La crise financière est inhérente au système de financiarisation


Écrit pour la session 20 – Un endettement sans fin est-il raisonnable ?

Depuis 2008 et le whatever it takes, des accords internationaux majeurs ont sombré et les références en termes de dette, de déficit ou de masse monétaire ont disparu.

En présence de la monnaie fiduciaire, l’économie, le social, voire la guerre, mettent les autorités nationales face à un choix: imprimer de l’argent, ou modifier la distribution de la richesse, beaucoup plus difficile à gérer politiquement. Le choix de facilité l’emporte très souvent. En cassant l’ordre financier et monétaire mondial le 15 août 1971 en mettant fin unilatéralement à la convertibilité or-dollar, les USA se sont lancés dans deux voies concomitantes : imprimer des dollars à souhait en gardant l’or, et s’entendre avec la Chine pour profiter d’une quantité extraordinaire de main d’œuvre et commencer la délocalisation massive.

Cette décision politique majeure consistait à gérer dorénavant les déséquilibres et les rendre même opérationnels. Un des buts de l’opération était de briser l’URSS, alors que la Chine est entrée dans ce jeu pour reprendre une position de superpuissance mondiale. Ce fut un jeu de manipulation réciproque, et l’idéologie étant toujours prête à servir, des penseurs comme Friedman ont accompagné le mouvement.

La financiarisation devient le substitut facile à des modes d’allocation de richesses politiquement beaucoup plus coûteux. On fait table rase des traités, on fait sauter toute référence à une valeur. Les agrégats monétaires et financiers (dont la dette) exprimés en monnaie, ainsi que les échanges internationaux non liés aux échanges de marchandises, se sont mis à croitre très vite par rapport au commerce de marchandises et à la production. Ils sont devenus astronomiques relativement à l’économie matérielle.

La liquidation du Glass-Steagall Act, qui instaurait l’incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement, l’assurance des dépôts et le plafonnement des taux, a contribué à créer des agrégats financiers ayant besoin d’une contrepartie qui doit être trouvée à tout prix. Paradoxalement, le financement existe et il faut lui trouver des clients pour que ces agrégats soient rémunérés. Le prélèvement sur l’économie réelle pour entretenir une rentabilité qui satisfasse les détenteurs de ces agrégats devient de plus en plus lourd et constitue un problème en soi dont le titre est : gare à la crise financière.

Même sans besoin de financement, la financiarisation existe en soi. La question va bien au-delà de la corruption ou de la mauvaise gestion. Du fait de l’énormité des agrégats et des mouvements de capitaux, il faut trouver de la rémunération suffisante. Un Etat ponctionne le contribuable et une banque ponctionnera ses clients, ça doit être pris quelque part, tandis que le volume augmente en permanence. Les crises ne sont plus accidentelles, elles deviennent nécessaires. Sans elles, ce phénomène n’a pas de plafond.

Les profits et les faillites des banques ne proviennent plus de leurs prêts à l’économie réelle. Ce qui devient primordial s’appelle activité de marché et produits dérivés, soit les outils pour trouver du rendement pour que les agrégats continuent à s’accumuler au sein du secteur financier. On botte sans cesse en avant et les crises sont nécessairement consubstantielles à la gestion des déséquilibres. On peut retarder les crises, les orienter vers les uns plutôt que vers les autres, mais elles ne sont plus un accident qui perturbe des règles raisonnées et acquises.

L’Etat ne s’endette plus uniquement pour combler son déficit. Avec le QE, les Etats se sont endettés afin de continuer à rentabiliser l’argent de ce déséquilibre géré.

La gestion inter temporelle n’est plus « j’investis aujourd’hui pour produire demain ». La part de dette provenant d’un déséquilibre inter temporel lié à la production et à la circulation ne représente plus qu’une partie infime de la dette totale, y compris en ce qui concerne l’Etat. Il n’y a d’ailleurs pas de différence fondamentale entre l’Etat et ce qui ne relève pas de lui. La mécanique des 70s s’est élargie par nécessité politique et par choix de facilité, car l’alternative est dure. Enferré dans ce processus inter temporel, on en est captif et on joue à allonger les échéances sans que la situation dérape, tout en sachant que la sortie sera une crise. 

Dans ce système, la crise est nécessaire en tant que telle. L’endettement ne se fait plus par avidité. Il y a dans la monnaie fiduciaire et la mondialisation une mécanique qui gonfle systématiquement les agrégats financiers qui ont besoin de rémunération afin que le système ne casse pas. Accessoirement, l’indépendance des banques centrales devient une plaisanterie. Le lien entre la dette et le déficit ne tient plus. Il faut entretenir l’argent que l’on reçoit, pour qu’il reste dans un pays donné et éviter la faillite. A l’échelle mondiale, l’argent s’accumule, et son déplacement peut induire des crises. Les retombées globales se manifestent par le biais du phénomène massif de concentration des patrimoines, et ceux-ci ne sont plus les lopins de terre, mais bien le financier. Et ce n’est pas une conjoncture, c’est structurel.

Depuis la fin de l’étalon-or et du Glass-Steagall Act et avec le déficit structurel du compte courant, la fonction du secteur bancaire a été modifiée et les formes les plus efficaces pour supprimer les excédents financiers sont les crises, les guerres, ou les dévalorisations massives. La gestion par inflation contrôlée reste de loin la version la plus soft.

Les acteurs politiques essaient de retarder les crises, et de ce point de vue, les élections sont bien pratiques, en permettant de ne gérer qu’une tranche de temps. En fixant par les institutions une temporalité saccadée, on obtient une marge de manœuvre incroyable pour manipuler les gens, alors que la démographie, la finance, le climat, sont des temporalités inertes et longues et qu’elles doivent être traitées comme telles.

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