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GAFAMs : le futur partage du gâteau fiscal sera-t-il vraiment plus « juste » ?


Macroéconomie | L'Europe et le monde

Écrit pour la session 12 – Vers plus de justice fiscale

En matière de justice fiscale, un des sujets qui revient constamment est la perception que les GAFAMs ne payent pas leur juste part (« fair share »). Sensibilisée au sujet par des médias, qui relayent depuis plus d’une décennie leurs ennuis fiscaux, la société civile a massivement le sentiment que le compte n’y est pas et que les règles de fiscalité internationale sont globalement inefficaces pour régler le problème[1].

C’est dans ce contexte, que récemment le G20 a approuvé un projet de réforme porté par l’OCDE engageant désormais  près de 140 pays[2]. Si le projet a été qualifié d’ « historique » et a fait l’objet d’une publicité sans précédent, la réelle portée de la  mesure reste à évaluer.

En plus d’un impôt minimum sur les sociétés d’au moins 15%, la réforme vise notamment à allouer plus de profits taxables aux marchés où se trouvent les clients et utilisateurs des services digitaux au détriment des pays de siège (Etats-Unis, Union Européenne) et pays hubs d’investissement (Pays-Bas, Suisse, Singapour).  Ces réformes sont qualifiées de « Piliers », le Pilier 1 concerne cette réallocation, alors que le taux minimum de 15% concerne le Pilier 2[3].

La réforme concernant spécifiquement les GAFAMs (le Pilier 1) a pour objectif d’adapter les règles écrites à une époque où les GAFAMs n’existaient pas, pour mieux capter la réalité économique et fiscale de situations totalement nouvelles et répondre à l’incompréhension (et parfois la colère) et de la société civile. Elle vise également à plus de multilatéralisme à l’heure de la prolifération non-coordonnée des taxes unilatérales sur les services digitaux.

Présenté comme tel, le projet de réforme vise à plus d’équité et le partage du gâteau fiscal, tel qu’envisagé, sera certainement plus « juste » : une forme de mutualisation des profits à l’échelle planétaire. La volonté politique rejoint la raison économique car la chaine de valeur des GAFAMs s’étend à leurs utilisateurs, légitimant une valeur créée localement même en l’absence d’établissement local. En postant une vidéo sur Youtube, j’enrichis la plateforme d’un contenu, je contribue aux effets de réseau, et indirectement je contribue aux profits de la plateforme. Même raisonnement quand je laisse Meta accéder à mes données, ce qui permet à la société de vendre de la publicité ciblée. La valeur est aussi créée, et donc logiquement taxée, localement.

Si l’intention est bonne, et d’ailleurs saluée et encouragée dans son principe par les multinationales elles-mêmes, la réforme proposée pose plusieurs questions. La réforme, d’une grande complexité, sera limitée aux plus grands groupes, les plus profitables (environ une centaine). L’immense majorité des sociétés n’est donc pas concernée.  

La réforme présente ensuite de vraies limites conceptuelles. La connexion entre valeur des données des clients locaux et profits comptables des groupes fait peu de sens, cette valeur étant intrinsèque et non directement corrélée aux profits comptables. Certains groupes digitaux, notamment américains, ont ainsi des utilisateurs dans le monde entier, un stock immense de données, une valeur boursière stratosphérique et pour autant génèrent des pertes comptables, qui les excluent de fait du champ de la réforme.

La réforme ne présente pas nécessairement non plus des revenus fiscaux à la hauteur des enjeux : l’OCDE prévoit une réallocation de 200 milliards de dollars par an à ce titre et entre 13 et 36 milliards de revenus fiscaux supplémentaires à l’échelle mondiale (soit 0,5% et 1,5% des recettes fiscales mondiales de l’impôt sur les sociétés)[4].

La réforme est aujourd’hui suspendue à la combinaison d’enjeux politiques majeurs (comme son adoption par le Congrès américain) et d’enjeux techniques (la mise en œuvre d’un outil multilatéral pour la nouvelle répartition de l’impôt). Si la réforme finit par être adoptée, le succès politique de la mise en place de cette super taxe sera certainement retentissant. Les politiques pourront ainsi relayer que le sujet de la fiscalité des GAFAMS est réglé ou en passe de l’être.

La réforme en réalité laissera entiers un grand nombre de sujets majeurs : du côté des entreprises, l’incertitude fiscale dans laquelle se trouvent et resteront l’immense majorité des entreprises multinationales en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés ; du côté des administrations fiscales, le sujet des ressources et des capacités pour faire appliquer les règles existantes, dans le contexte d’une complexité croissante des modèles d’affaires.

Enfin si la réforme satisfera – au moins politiquement – les pays développés, qu’en est-il des pays en voie de développement, probables oubliés d’une telle réforme (certains pays ayant publiquement fait savoir leur scepticisme à propos de cette réforme perçue comme coordonnée, en réalité, par les pays riches, c’est le cas du Kenya et du Nigéria[5])?

Ainsi, le contenu réel de la réforme (champ d’application très restreint, revenus fiscaux additionnels limités, complexité extrême) a semble-t-il moins d’importance que sa portée symbolique et la démonstration d’un multilatéralisme retrouvé y compris sur des sujets fiscaux.

Il ne faut ainsi pas croire que les problèmes seront réglés une fois cette réforme adoptée ; le sujet du partage du gâteau fiscal des grandes entreprises multinationales, au premier rang desquelles les GAFAMs, doit continuer à occuper l’agenda des Etats, pour viser des solutions justes, équilibrées, limitant l’incertitude pour les entreprises, et pouvant être mises en œuvre. Ces solutions devront aussi prendre en compte les intérêts des pays en voie de développement, pour leur permettre de mieux contribuer à leur mobilisation de ressources fiscales, indispensables pour financer leur développement.


Sébastien Gonnet, Associé, Accuracy


[1] 84% des Français estiment que la taxe sur les géants du numérique est importante selon le dernier baromètre réalisé par BVA pour La Tribune (Mars 2019). https://www.latribune.fr/economie/france/la-taxe-gafa-soutenue-par-une-large-majorite-de-francais-809765.html

[2] https://www.oecd.org/tax/beps/oecd-g20-inclusive-framework-members-joining-statement-on-two-pillar-solution-to-address-tax-challenges-arising-from-digitalisation-october-2021.pdf

[3] https://www.oecd.org/tax/beps/

[4] https://www.oecd.org/tax/beps/revenue-impact-of-international-tax-reform-better-than-expected.htm

[5] https://www.forbes.com/sites/taxnotes/2023/03/14/bringing-order-to-chaos-digital-services-taxes-and-pillar-1/?sh=3197b9d92638

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