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Espace Presse

Donner un nouveau souffle à l’innovation avec l’IA


Industries & Innovation | Les territoires et les entreprises

Écrit pour la session 34 – Donner un nouveau souffle à l’innovation

 « Donner un nouveau souffle à l’innovation » est d’ailleurs l’un des thèmes de réflexion proposé ce week-end aux Rencontres économiques d’Aix en Provence. Il est vrai que l’économie française est en voie de transformation créative selon l’expression d’Eric Le Boucher qui soulignait dans une de ses récentes chroniques le rôle des innovations dans cette transformation qui touche des secteurs entiers de l’économie. Il va jusqu’à rapprocher sur le plan économique la période actuelle à la période de l’histoire de France où le capitalisme français a été entreprenant et inventif, celle du Second empire. L’époque que nous traversons commence à y ressembler, avec l’impressionnant succès mondial du luxe français, d’une partie de la high-tech, et très probablement dans un proche avenir de l’industrie et des services de la nouvelle économie post-carbone.

On se souvient du grand plan d’investissements France 2030 annoncé avec solennité par Emmanuel Macron en octobre 2021. A peine 20 mois après sa naissance, Patricia Barbizet, présidente du Comité de surveillance des investissements d’avenir a remis le vendredi 30 juin à la Première Ministre, Elizabeth Borne, un premier bilan sous forme d’un rapport d’évaluation. Celui-ci devrait servir, de base aux futures évolutions de cet outil conçu pour contribuer à la réindustrialisation du pays et de soutien à l’innovation.

De nos précédentes chroniques consacrées aux effets de l’intelligence artificielle (IA) sur la croissance et le tissu économique et boursier, il ressortait que l’IA est un peu comme la mère de toutes les batailles. Le nouveau souffle donné à l’innovation en France devra s’exercer au sein et par le biais de l’IA, dans la mesure où celle-ci irrigue en effet des pans entiers de l’économie. Il convient cependant de ne pas sous-estimer les obstacles et les défis que présente cette orientation. Les systèmes performants d’AI nécessitent en effet trois ingrédients pour fonctionner : des capacités calculatoires gigantesques, d’immenses bases de données utilisables, et bien sûr des compétences humaines qui maîtrisent ces sujets, et aussi en matière de régulation. Mais avant tout, l’écosystème IA requiert un environnement favorable où le gouvernement et l’administration ont un rôle actif à jouer dans la création des conditions propices à l’innovation. C’est ce à quoi s’emploie la Mission French Tech au sein du Ministère de l’économie et des finances. Mais il y a lieu d’être inquiet des derniers développements du projet européen de régulation de l’IA (EU AI Act), dans la mesure où ils menacent la compétitivité et la souveraineté technologique de l’Europe. C’est notamment le cas de la partie relative à l’IA dite « générative ». Le projet récemment adopté par le Parlement européen impose ainsi une régulation extrêmement stricte des modèles dits « fondationnels » (modèles LLM), quels que soient leurs domaines d’applications et indépendamment des risques que présentent ces derniers. Le problème le plus pressant est celui des capacités calculatoires nécessaires pour faire fonctionner les nouveaux modèles d’AI. Aucune des grandes sociétés de « cloud » n’a installé sur le sol français de clusters avancés de microprocesseurs graphiques (GPU). Le destin de la société anglaise Deepmind, la plus avancée en son temps en matière d’AI a été scellé par son rachat en 2014 par Google, à cause de l’insuffisance de capacité calculatoire sur le sol anglais. Il est certes possible de faire appel à l’un des grands opérateurs de cloud installé au niveau européen, qu’il s’agisse d’Amazon, Google, Microsoft ou Oracle, et de louer leurs infrastructures et leurs capacités calculatoires. Mais pour des raisons diverses de souveraineté et de protection des données personnelles, de telles pratiques sont fortement découragées, alors que leur interdiction devrait être ciblée.

De fait, le gouvernement français devrait s’attacher à convaincre l’un des grands opérateurs d’infrastructures numériques à installer sur le sol français de telles capacités calculatoires. La sensibilité des données n’est pas le seul argument en faveur de la préservation des capacités calculatoires sur le sol national. Il y a aussi le « learning by doing », et l’avantage d’avoir un écosystème dynamique qui les accompagne à portée de main, formé d’entreprises performantes et d’emplois hautement qualifiés. Incidemment, ces intenses capacités calculatoires requièrent une consommation d’électricité gigantesque pour les rendre opérationnelles. Et la France est très compétitive sur la longue durée en matière de coût de l’énergie, notamment grâce au renouveau de son industrie nucléaire. Notre pays n’est pas sans d’autres atouts, d’abord avec un système financier performant et, notamment dans ce contexte d’innovation, une industrie du capital investissement dynamique. Ainsi, à fin 2022, seuls cinq pays, les Etats-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne et l’Inde, dépassaient la France en matière de financement des start-ups. Bien que l’avantage comparatif de la France risque de s’étioler avec le passage du temps, vu les très médiocres résultats obtenus par le système d’enseignement secondaire français attestés par les classements PISA, la France brille encore par les attraits que présentent les jeunes ingénieurs diplômés de ses écoles scientifiques pour les firmes américaines de la Silicon Valley.

 Il existe d’autres défis qu’il vaut la peine de relever compte tenu des gisements de productivité qu’ils représentent. Les progrès de productivité dans les économies développées sont en effet freinés par leur quasi-absence dans certains secteurs, et notamment dans les secteurs importants de la santé et de l’éducation dont les progrès de productivité ont été historiquement faibles. De ce fait, ils représentent une part croissante du PIB, et plombent sa croissance. Une association public-privé serait très opportune pour constituer les vastes bases de données nécessaires à l’IA, par exemple dans l’industrie de l’hygiène et de la santé. Les succès d’entreprises privées, comme Doctolib devraient servir de levier, de même qu’une réalité bien française pour une fois bénéfique : l’existence d’un système centralisé des données d’hygiène et de santé par le biais des administrations publiques de l’assurance maladie et de la Sécurité Sociale. En définitive, la France a montré ces dernières années une réelle appétence pour l’innovation, que ses atouts en matière d’IA ne peuvent que conforter.

Bertrand Jacquillat est vice-président du Cercle des économistes et senior advisor de Tiepolo.

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