Spéculation, un mal pour un bien ?
La spéculation est régulièrement vilipendée dans les discours médiatiques et politiques pour son courtermisme et son irrationalité. Pourtant, elle est un moteur indispensable à la croissance quand elle se conjugue avec investissement et projets audacieux.
La spéculation, késako ? Pour Catherine Lubochinsky (Le Cercle des Economistes), les marchés financiers sont indispensables à la bonne marche de l’économie. « Pas de croissance sans investissement. Pas d’investissement sans financement », énonce-t-elle. Depuis les années 80, les banques commerciales et le financement étatique ne sont en effet plus suffisants pour couvrir les besoins économiques mondiaux. L’économiste enchaîne alors par un détour épistémologique, rappelant la différence entre spéculation et manipulation des marchés ou délit d’initiés, deux pratiques condamnées par la loi. La définition même de la spéculation apparaît alors comme bien difficile car elle ne peut se résumer à la seule prise de risque, intrinsèque à toute activité économique. En ce sens, il devient nécessaire, si ce n’est urgent, de distinguer la « spéculation optimale » et la « spéculation excessive », en dépit d’une rhétorique politique qui entretient la confusion au nom d’intérêts électoraux.
Recherche spéculation désespérément. L’Histoire prouve que la spéculation a régulièrement été recherchée par les grands marchands. Dès -397, les Athéniens spéculaient sur le prix du blé, confie Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. Plus largement, ce dernier, qui s’inquiète que l’économie mondiale n’ait pas encore retrouvée son niveau d’avant crise, fait part de quatre paradoxes conjoncturels quant à l’investissement. Les taux d’intérêt sont extrêmement faibles mais le crédit est encore bloqué. De même, les émissions obligataires explosent mais les PME n’en profitent pas. Si la bourse s’envole, la croissance est encore atone voire incertaine dans les pays industrialisés et elle ralentit dans les émergents. Aussi, les banques se sont vues imposer des réglementations plus strictes depuis les accords Bâle mais des risques financiers sont apparus ailleurs. Enfin, les politiques monétaires sont extrêmement accommodantes mais l’inflation est faible, notamment dans la zone euro. La spéculation reste alors un objet désiré pour lui-même au nom d’une relance durable de la machine productive.
Court terme, long terme : même combat. Régulièrement, la spéculation est accusée d’être l’apanage du court terme, et donc de la volatilité. Catherine Lubochinsky affirme cependant que le facteur temps est bien trop arbitraire pour délimiter les contours même de la spéculation. Elle évoque certes les transactions en millisecondes mais se demande quelle devrait alors être la durée de détention d’un titre pour qu’il soit considéré comme un investissement financier. Ross McInnes (Safran) estime alors que la spéculation a toute sa place dans le jeu financier entre acteurs en besoin de financement et acteurs en capacité de financement : « Il n’y a pas de bons et de mauvais investisseurs, simplement des investisseurs de nature différente. La spéculation n’est pas l’ennemi de l’investissement long terme, c’est une forme d’investissement. » De même, la liquidité, accusée de favoriser dramatiquement la spéculation, contribuerait en fait à la baisse du coût du capital, nécessaire à la constitution de projets audacieux.
Comment « moraliser » la spéculation? Christopher Potts (Kepler Cheuvreux) reconnaît volontiers que la « spéculation excessive » est condamnable, notamment d’un point de vue moral, car elle creuse les inégalités. La faute à une rentabilité et une rémunération excessives. Susan Wolburgh Jenah (Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières) insiste in fine sur le rôle du régulateur, qui doit s’assurer que le marché est équilibré entre court terme et long terme, doit inciter à de meilleurs comportements et doit veiller à une bonne connexion entre les acteurs. « Les acteurs financiers ne sont pas nécessairement des gens qui veulent tricher ou ne veulent pas de réglementations », affirme Christian Noyer. Et si la spéculation était notre meilleur ennemi ?
Martin Cangelosi