Innover, c’est croire en demain
Alors que l’émergence des NTIC au début de la décennie 2000 laissait espérer de forts gains de productivité, les économies sont toujours confrontées à une faible productivité. La crise de 2008 n’a fait que renforcer l’impératif pour les acteurs de trouver des investissements afin de relancer durablement la croissance.
Restaurer la compétitivité. L’ensemble des conférenciers s’accordent sur un même bilan : les économies industrialisées sont stationnaires, voire en récession, car leur innovation est insuffisante. « La croissance potentielle est faible voire très faible car les gains de productivité du travail et du capital sont eux-mêmes faibles, tout comme l’innovation », regrette Louis Gallois. L’ancien commissaire à l’investissement met toutefois en garde contre un schéma à l’espagnol pour relancer la machine productive. Reconnaissant certes qu’une politique de l’offre est un levier nécessaire, Louis Gallois écarte l’idée d’une dévaluation interne, synonyme de baisse des salaires. « Le coût social est inacceptable. Le corps social ne l’accepterait pas, de bon droit.» Celui qui se réclame du keynésianisme milite alors pour une montée en gamme de l’économie française.
« C’est une affaire de 10 ans. Est-ce que les gouvernements politiques vont pouvoir tenir ?», s’interroge-t-il, avant de rappeler que l’Allemagne, qui a engagé des réformes similaires au début des années 2000, a dû enchaîner trois majorités différentes.
Quel rôle pour l’Etat ? En passant d’une économie de rattrapage à une économie d’innovation, l’Etat tend à se limiter à ses fonctions régaliennes, à l’exception d’investissements attendus dans le capital humain. La France devrait donc abandonner ses ambitions historiquement colbertistes. La question est d’autant plus ténue dans un contexte idéologique de Réforme de l’Etat et de restrictions budgétaires, marquées notamment par le Pacte européen de Stabilité et de Croissance.
Choisir c’est renoncer. Pour contrer la désindustrialisation, la puissance publique se doit également de choisir entre favoriser de larges filières ou se contenter de soutenir quelques champions nationaux. Masahiro Kawai (Institut de la Banque asiatique du Développement) regrette ainsi que l’Indonésie se soit entêtée à privilégier le secteur de l’aéronautique, sans succès notable. A l’inverse, la Thaïlande a préféré dynamiser le marché domestique en accentuant la compétition entre un grand nombre d’entités. Pour le russe Sergei Guriev (Sciences Po Paris), les pays émergents doivent en outre tout faire pour respecter un climat favorable à l’investissement. L’économiste regrette alors que Vladimir Poutine n’ait pas tenu ses promesses de mettre fin à l’Etat-prédateur, au moment de son retour au Kremlin en mai 2012.
L’économie de demain est déjà celle du numérique. « On est frappé de voir que le numérique ne se traduit pas par de forts gains de productivité », constate Louis Gallois, rappelant que les NTIC ont été adoptés « plus rapidement dans la vie quotidienne que dans les processus de production. » La France dispose par exemple de moins de robots que la plupart des autres pays industrialisés, ce qui participe de sa faible productivité. L’économie numérique s’accompagne enfin d’un passage simultané à une économie durable.
L’appel des renouvelables. La transition écologique n’est toutefois ni chose aisée ni synonyme de consensus entre les différents acteurs. Alors que Suzanne Berge (MIT) rappelle que la croissance américaine tire profit des investissements dans la fracturation hydraulique et l’exploitation du gaz de schiste, l’Europe hésite fortement à adopter une telle technique. Les énergies renouvelables ne permettent d’ailleurs pas encore de se substituer au charbon ou au nucléaire, précise Gérard Mestrallet (GDF-Suez). Chercher la voie de la croissance s’accompagne inexorablement d’ « effets secondaires, tel un médicament », conclut Philippe Aghion. Aux investissements de demain de tenter de les limiter.
Martin Cangelosi