Education : sortir du « piège à pauvreté »
Quel paradoxe que l’école ! Elle cherche à lutter contre les inégalités, alors même qu’elle en crée. Face aux inégalités d’accès ou de qualité de l’enseignement, la France consacre seulement 5 % du PIB à l’éducation. Est-ce un hasard si elle est, dans le même temps, sujette à la montée du chômage ? Que sa croissance peine à repartir ? Le constat est unanime parmi les intervenants : le monde change, mais l’école bloque. Investir dans l’humain, changer les manières d’éduquer, telles sont les solutions qu’ils abordent.
Réconcilier l’école avec l’emploi. A l’heure où le chômage bat des records, certains emplois ne trouvent pourtant pas preneurs. La faute à l’éducation :« Il semble que toutes les mutations de la société n’aient pas encore touché l’école », estime Barbara Ischinger, ancienne directrice de l’éducation et des compétences de l’OCDE. Entre les attentes du marché du travail et la formation des étudiants, il y a un fossé. « L’éducation professionnelle n’est pas conforme à la demande sur le marché du travail », analyse David Stern, professeur émérite à l’Université de Californie, Berkeley.
Changer la donne par l’investissement. Essentiellement focalisé sur les ressources humaines, l’investissement permet de mieux les utiliser si elles intègrent les exigences d’une insertion professionnelle réussie. L’école peut par exemple fournir des connaissances sur l’économie globale, encourager le travail en équipe ou former les jeunes à la négociation. Autrefois dépendante des aides internationales, la Corée a misé sur une main d’œuvre qualifiée et des entrepreneurs socialement responsables. Selon Kyoil Suh, président de l’université de Soonchunhyang, elle est devenue la 2e économie du monde en 1993 ! « Nous avons fait beaucoup d’efforts pour améliorer le capital humain, assure. L’éducation et l’entreprenariat ont joué le rôle de carburant ».
En finir avec la prédétermination scolaire. Décider de la voie sur laquelle on s’engagera dès l’enfance est « néfaste pour les individus et la société toute entière », avance Barbara Ischinger. La Pologne en a tiré les leçons. En 1999, elle engage une réforme de son système éducatif qui a réduit l’échec scolaire de 10% et augmenté de près de 5% le nombre des résultats excellents. Retarder le plus longtemps possible l’arrivée sur le marché de l’emploi est d’autant plus important pour David Stern que le lien entre salaires et niveaux d’études est évident. « Plus on attend de quitter l’école, plus on a de chances d’avoir un emploi bien rémunéré », affirme-t-il. A l’inverse, les enfants des familles les moins favorisées réussiront moins bien, renforçant ainsi la stratification sociale.
Repenser le métier d’enseignant. Décrochage scolaire, manque d’efficacité de la formation, mauvaise insertion dans l’emploi… Les inégalités de qualité frappent l’enseignement scolaire. En Italie, plus de la moitié des professeurs appartiennent à l’ancienne génération. Or, d’après Joan Ferrini-Mundy, directrice adjointe de l’éducation et des ressources humaines à la National Science Foundation, les classes sont des lieux vivants dans lesquelles les gouvernements doivent investir pour changer les manières d’enseigner. « Les professeurs doivent être plus impliqués dans la réussite de leurs étudiants », juge-t-elle, proposant d’accorder davantage de ressources aux enseignants et aux élèves des milieux défavorisés. Elle souhaite par exemple instaurer un système de monitorat visant les étudiants qui en ont le plus besoin. Mieux les étudiants sont formés, plus ils sont efficaces, et plus ils réussissent. Pourtant, 20 % des français ne maîtrisent toujours pas leur langue maternelle, et ce chiffre augmente chaque année d’1%. « L’école en France reproduit les inégalités quand elle ne les construit pas », insiste Erik Orsenna.
Retrouver le plaisir d’apprendre. Difficile de faire naître le désir d’apprentissage d’un métier aux jeunes des quartiers défavorisés ou socialement exclus. Leur faire accepter la réalité du monde du travail et les insérer professionnellement relève du parcours du combattant. Thierry Marx, chef étoilé du Mandarin Oriental à Paris, en sait quelque chose : « L’école apprend-elle le monde ? Dans les quartiers d’où je viens, certainement pas ! ». Ce fou de gastronomie, qui a obtenu son baccalauréat à 24 ans, est le fondateur de l’école d’insertion « Cuisine mode d’emploi ». Son principe : pendant 12 semaines, la transmission par le geste avant l’écrit, appliquée à l’apprentissage et la réalisation de 90 recettes. A la clef, une insertion professionnelle internationale « qui vous sort de votre condition sociale ».
Maryne Zammit