La finance à impact, illusions et réalités
Environnement | Modes de production
Écrit pour la session « La finance à impact, illusions et réalités »
La transition de l’économie mondiale vers des modes de production plus justes et plus durables n’est possible que si elle est accompagnée de stratégies d’investissement et d’innovation dont l’objectif, au-delà du rendement financier, intègre une dimension sociale et environnementale.
La finance durable et responsable met en évidence l’influence déterminante des investisseurs dans l’orientation des pratiques des entreprises qu’ils financent. Plus spécifiquement, l’investissement à impact suppose une démarche intentionnelle de la part de l’investisseur qui a une contribution sociale et environnementale positive directe et mesurable dans la décision d’investissement de l’entreprise. Il s’agit alors de repenser les stratégies et les actions sur le long terme. Cette notion est née aux Etats-Unis en 2007. Elle s’est développée avec le Global Impact Investing Network qui a contribué à étendre l’investissement à impact à l’échelle internationale puis a connu une croissance exponentielle depuis la crise de 2008. L’investissement à impact est concentré essentiellement au Canada et aux USA, favorisé par l’émergence de fonds spécialisés. Toutefois, il est de plus en plus présent en France avec une estimation de 715 milliards de dollars d’investissement en 2020 par le GIIN, en forte progression par rapport à l’année précédente.
Pour connaitre les conditions permettant d’intensifier et de développer ces investissements vertueux, plusieurs questions se posent.
Tout d’abord, il convient de s’interroger sur l’efficacité des investissements à impact, et plus particulièrement sur les rendements et les risques qui y sont associés.
Le cadre législatif doit s’appuyer sur des outils économiques afin de définir et de mesurer l’impact social d’un investissement. Cela représente le point de départ de la stratégie de financement et permettra de déterminer les objectifs à atteindre afin d’éviter les stratégies de « greenwashing » ou l’« ESS-washing ».
L’investissement à impact peut être rattaché à l’investissement socialement responsable (ISR) mais s’en distingue par le fait que l’impact social, environnemental et de gouvernance est prioritaire par rapport à la rentabilité financière de l’investissement. Cela ne signifie pas forcement que le retour sur investissement soit moindre, au contraire. La prise en compte actuelle des risques futurs liés aux défis auxquels le monde va être confronté devrait engendrer des profits à long terme plus importants pour des projets qui atténuent les effets négatifs de ces changements à venir. Plusieurs études récentes ont, par exemple, montré que les obligations vertes permettent de lutter contre le changement climatique et donc de générer des performances extra-financières positives. Elles offrent, en outre, des rendements financiers presque équivalents à ceux d’un investissement qui ne s’appuie pas sur la certification verte (Gianfrate and Peri (2019))[1]. La prise en compte de ces risques permettrait donc une meilleure évaluation du prix des actifs et une allocation plus optimale des ressources. Dans ce cas, la performance extra financière participe à la performance financière de l’investissement.
Une seconde interrogation fait appel à la responsabilité de l’État, en ce sens que la poursuite d’un objectif social et environnemental peut être considérée comme un bien public, dont chaque individu peut bénéficier au même titre et en même temps.
La production de ce bien ne pouvant être centralisé, l’État doit donc intervenir afin de fournir un cadre favorable à la prise en compte de l’intérêt collectif dans les stratégies d’investissement des entreprises. Pour cela, ils disposent de plusieurs outils qui peuvent prendre la forme soit de contraintes (par le biais de la règlementation) soit d’incitations (via des subventions par exemple). Ainsi, la règlementation et la volonté de réduire les coûts de production peuvent être des motivations complémentaires à celle de la réputation ou de la philanthropie dans les stratégies d’investissement soutenable. Cet argument est appuyé par une récente étude auprès d’un large échantillon d’universitaires, de professionnels de la finance, de régulateurs du secteur public et d’économistes politiques sur des sujets liés au financement climatique. Cette étude montre que les investisseurs intègrent la contrainte règlementaire comme risque principal à court terme mais considèrent les risques physiques liés au climat comme la principale source de risque à plus long terme (Stroebel and Wurgler (2021))[2].
Cependant, comment évaluer les impacts non-financiers ?
Le cadre législatif doit s’appuyer sur des outils économiques afin de définir et de mesurer l’impact social d’un investissement. Cela représente le point de départ de la stratégie de financement et permettra de déterminer les objectifs à atteindre afin d’éviter les stratégies de « greenwashing » ou l’« ESS-washing ». En effet, il paraît indispensable que les agents disposent d’une carte d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs claire et transparente pour estimer l’impact extra-financier de leur investissement. Cela est nécessaire pour guider leurs décisions et rendre compte de leur impact. La nature multidimensionnelle de l’impact rend cette tâche difficile d’autant que la notion de bien-être social repose sur une dimension inter-temporelle de long terme liée à celle de la soutenabilité. Cela suppose de considérer les défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés et d’en déduire des objectifs à atteindre afin d’atténuer leurs impacts négatifs. Sur ce point, il existe aujourd’hui plusieurs référentiels communs à travers les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies élaborés en 2015 ou l’accord de Paris sur le Climat. Toutefois, il s’agit aussi de considérer les spécificités propres à chaque secteur et à chaque entreprise et donc d’y adosser des objectifs complémentaires afin de convertir ces objectifs en des stratégies opérationnelles. Se pose alors la question de la gouvernance car la mise en place d’un cadre règlementaire en adéquation avec des objectifs clairement identifiés fait appel à une coopération entre les secteurs public et privé à l’échelle internationale.
Concrètement, il existe aujourd’hui différentes initiatives à l’échelle des Etats, à l’échelle Européenne ainsi qu’à l’échelle internationale visant à favoriser le développement de ces investissements. Comment les coordonner ?
D’un côté, les universitaires et les institutions internationales travaillent sur la question de la mesure des impacts financiers et extra-financiers. Il en résulte des propositions de nouveaux outils d’évaluation et de guides de bonnes pratiques à destination des investisseurs. On peut citer les travaux du Comité d’Aide au Développement de l’OCDE en mars 2021 ou encore les Operating Principles for Impact Management (OPIM) de la Société financière internationale de la Banque Mondiale, par exemple. D’un autre côté, cette volonté de promouvoir ces investissements responsables a donné lieu à des mesures politiques telles que, en France, dans le cadre de l’ISR, la loi PACTE de 2019 par exemple. L’Europe fait preuve, en outre, d’une réelle volonté d’accroitre ces investissements vertueux. On peut citer, par exemple, l’adoption par la Commission du Plan d’action Européen pour la finance soutenable en mars 2018 dont l’objectif est d’orienter les fonds privés vers des investissements durables et de long terme. Il s’est traduit par de nouvelles règlementations (the EU Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR)) introduisant de nouvelles exigences en matière de publication d’informations au sujet de la durabilité de leurs activités (la taxonomie).
Plus récemment, le plan d’investissement du pacte vert européen mobilisera au moins 1 000 milliards d’euros d’investissements durables au cours de la prochaine décennie. Plus largement, le fait que la Banque Centrale Européenne s’empare de la question de la politique monétaire verte va largement contribuer à la définition des objectifs et des indicateurs relatifs à un investissement respectueux de l’environnement et qui pourrait, peut-être, à terme, être étendue à la dimension sociale.
Ainsi, ce sont toutes ces questions qui vont être évoquées et débattues dans le cadre de cette session intitulée « La finance à impact, illusions et réalités », qui aura lieu le samedi 9 juillet de 10h40 à 11h40.
Céline Gimet, professeur d’économie et de finance internationales à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence et chercheur à l’AMSE.
[1] Gianfrate, G., Peri, M., (2019). “The green advantage: Exploring the convenience of issuing green bonds” Journal of Cleaner Production, Pages 125-135
[2] Stroebel, J., Wurgler, J., (2021), What do you think about climate finance? Journal of Financial Economics, Pages 487-498.