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Solidarité intergénérationnelle


Société | Coopération

Si l’on reprend l’Histoire, le problème de la très grande vieillesse et de la solidarité intergénérationnelle ne se posait pas véritablement, au moins jusqu’au début du 20e siècle, partie du fait d’un taux de mortalité  et d’une cohésion familiale élevés à l’époque. De ce point de vue, la situation a radicalement changé, au moins à partir de la deuxième partie du siècle dernier. Le diagnostic est facile à établir et plus qu’alarmant. L’Europe est une « société du vieillissement », pour reprendre l’expression synthétique de Jean Hervé Lorenzi (Revue d’Economie Financière, N° 152, 2024). Le constat démographique, une des rares branches de la science économique dont les prévisions sont fiables, est implacable. Ce sont près de 3 millions de personnes qui sont susceptibles de devenir dépendantes d’ici 2030 dans notre pays. Et ce qui est vrai en France, l’est plus encore dans la plupart des autres pays européens, faute de renouvellement démographique suffisant. Au niveau de l’Union européenne, le nombre de personnes de plus de 65 ans devrait augmenter de 41 % au cours des 30 prochaines années. Et, d’ici à 2050, la population des plus de 80 ans va plus que doubler dans la plupart des pays de cette zone.

Le diagnostic déjà critique en lui-même se double d’un inquiétant constat : ce mouvement général va s’accompagner d’un sensible accroissement des inégalités : inégalités entre les cultures, certaines d’entre elles maintenant un niveau élevé de solidarité familiale. Mais inégalités aussi, bien sûr, en fonction du revenu et du patrimoine. Selon l’expression bien connue, face à l’âge, « il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et malade… ». Si, sur un diagramme, on inscrit l’âge en abscisse et les revenus en ordonnée, la situation ressemble – que l’on me passe l’expression triviale – à un ravioli qui n’a été fermé  que sur trois côtés. Vision qui n’est guère ragoutante….

Face à ce diagnostic, les questions qui se posent sont multiples. Nous regrouperons celles-ci autour de quatre grands thèmes. Le premier, le plus fondamental et le plus difficile à finaliser car éminemment subjectif : la solidarité intergénérationnelle existe-t-elle  véritablement ? Et si la réponse à cette question est positive, cette solidarité est elle ou non spontanée ? Au vu des multiples expérimentations que chacun d’entre nous peut vivre ou connaître, une réponse positive, si elle est donnée, ne peut être qu’extrêmement nuancée – il s’agit là d’un euphémisme -, l’individualisme qui semble caractériser la jeunesse s’accommodant mal de nombre de formes de solidarités.

Autre champ d’interrogation : pour lutter contre les méfaits du grand âge et pour le renforcement de la solidarité intergénérationnelle, qui doit payer ? A cette question, il est presque autant de réponses que de personnes interrogées. Ceci à supposer, ce qui paraît pour le moins aléatoire, que l’on s’entende au préalable sur les masses de capitaux qui sont en jeu.

Troisième thème majeur de questionnement : qui va fournir l’aide indispensable à la mise en œuvre de cette solidarité ? Se pose ici le problème crucial des aidants Une chose est sûre : la famille, acteur à priori central de cette solidarité, traverse une crise historique qui ne pousse guère à l’optimisme. Mais alors qui va payer en substitution ?

 Enfin dernière série de questions : comment renforcer le lien entre les générations qui tend, irrémédiablement, à se relâcher ? Comment éviter l’isolement à un âge de la vie où celui-ci revêt un caractère mortifère ?

Face à cette multitude de questions ou a minima à nombre d’entre elles, il existe fort heureusement des solutions au moins partielles, pour peu, hypothèse forte, que l’on se décide à saisir le problème à bras le corps. Commençons à ranger au rayon des accessoires inutiles les fausses solutions. Nous n’en prendrons qu’un exemple pour ne pas perdre de temps. Les Japonais se targuent d’avoir trouvé une solution au problème de pénurie des personnels soignants en multipliant les expérimentations consacrées à l’utilisation des robots dans les EHPAD. Il est clair que l’intention est louable mais la réalisation, outre ses aléas technologiques, fais l’impasse (c’est le principe même du projet) sur la dimension humaine pourtant essentielle à tous ceux que touche le grand âge.

Au-delà de ce qui n’est qu’anecdotique, nous ouvrirons cinq pistes qui ne demandent qu’à être débattues et suivies. La première, probablement la plus cruciale, concerne les aidants. On estime que la France compte aujourd’hui plus de 11 millions d’aidants, donc 6 millions environ sont des salariés-aidants qui cumulent un emploi et une aide, généralement familiale. Malheureusement les aidants vieillissent eux aussi et, pour de multiples raisons, subissent les effets de la distension des liens familiaux. Il n’existe certes pas de solution miracle mais un effort tout particulier doit être consenti pour ces personnes pour faciliter l’exercice de leur (souvent double) activité. Une piste parmi d’autres mérite ainsi d’être explorée qui vise les travailleurs séniors, dont on se plaint, par

ailleurs, à juste titre, du sous-emploi chronique.

 Deuxième piste à creuser, celle du financement. Si l’assurance-dépendance, sur laquelle certaines institutions lorgnent avec gourmandise, ne semble pas une cible prioritaire, tant par son champ d’action potentiel que par les menaces qu’elle présente en matière d’inégalités, le viager hypothécaire mérite, lui, un examen plus attentif. Pourquoi attendre encore et toujours pour encourager ce type d’épargne qui pourrait répondre à bien des problèmes ?

 Troisième piste, le développement des activités pour séniors. bien sûr cela aurait un coûte mais largement, voire même plus que, compensés par les bénéfices à en attendre. Quatrième piste, déjà évoquée implicitement celle de l’engagement des entreprises dans la montée en puissance de la solidarité intergénérationnelle. Trois bonnes raisons pour cela évoquées récemment par le patron de la Mutuelle Générale, Patrick Sagon : gagner en productivité en allégeant la charge pesant sur les salariés aidants, exploiter un précieux vivier de compétences et enfin enrichir la politique RH et la stratégie RSE des entreprises.

Enfin dernière  (et non des moindres) piste à creuser, comme de bien entendu, l’innovation. Celle-ci peut et doit se développer à deux niveaux simultanément. Au niveau macroéconomique, celle de la cinquième branche de la sécurité sociale, aux côtés des branches « Maladie », « Famille », « Accident du travail » et « Retraite ». Ce « monstre du Loch Ness » que les trois derniers présidents de la République se sont engagés, lors de leurs campagnes électorales, à créer n’attends plus qu’une chose : le courage politique d’appuyer sur le bouton ! Au niveau microéconomique, les initiatives doivent se multiplier en mettant en place, pour ne prendre qu’un seul exemple, à côté du système des « grands frères » dans les quartiers difficiles, celui des « anciens » dont les jeunes ou tant à apprendre, au niveau des entreprises bien sûr mais aussi plus généralement au niveau de toute la société.

 Les idées existent, les financements aussi. Seul, une fois encore, manque le  courage permettant de résoudre un problème qui ne fera que s’amplifier, qui conduit à l’inefficacité et à l’injustice, et que nos enfants ne pourront que nous imputer. Un peu de courage donc, même en cette période troublée. Et surtout vite car il y a véritablement « le feu au lac »…