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Réconcilier ceux qui prétendent savoir et ceux qui veulent diriger


Société | Vision commune

Depuis l’aube des temps, et plus particulièrement depuis que, en Europe, Max Weber a écrit en 1917 et 1919 à Munich   son célèbre ensemble de deux textes   réunis ensuite sous le titre » le Politique et le Savant », le dialogue entre ceux qui disent savoir, et ceux qui prétendent diriger est intense. En particulier entre économistes et politiques. 

On en a tous les jours et partout dans le monde des exemples  de  disputes entre politiques et économistes sur les bonnes politiques à mettre en œuvre à propos du changement climatique, de la place à accorder à l’intelligence artificielle, des changements démographiques, de la place des femmes, de l’acceptation ou du refus de l’immigration, et, sur un terrain plus économique, sur la place du marché, celle des services publics,  le rôle du budget et des impôts et celle  de l’ouverture à la concurrence internationale.

On a eu des manifestations récentes de ces disputes entre savants et agissants, aux Etats-Unis, au Japon, en Chine, en Argentine, en Italie et plus récemment en France.

Ceux qui disent savoir entendent faire valoir des faits, des vérités incontournables, des théories démontrées. C’est vrai depuis toujours des scientifiques, dont certains (comme le moine et grand intellectuel italien Giordano Bruno qui osait affirmer que le Soleil n’était pas le centre de l’univers, et qu’il existait plusieurs galaxies et tant d’autres), ont payé de leur vie cette exigence (Bruno fut brulé vif à Rome en 1600 sur ordre du Pape). C’est aussi vrai des économistes, depuis au moins, Turgot et Quesnay en Europe, qui voulurent, de siècles en siècles, prescrire leurs lois et leurs théorèmes aux dirigeants politiques. En particulier, ils ont voulu imposer leurs conceptions de la gestion de la rareté en édictant des règles pour privilégier la concurrence, lutter contre les monopoles, ouvrir les frontières, donner des limites aux déficits publics, rendre plus couteux l’usage des énergies fossiles, accepter les innovations et les mettre au service de la création d’emploi

Ceux qui disent vouloir diriger entendent, eux, faire valoir qu’ils ont tous les droits d’agir comme ils veulent, car ils incarnent le souverain, qu’ils soient élus démocratiquement, ou qu’ils se soient imposés dictatorialement. Et ils considèrent qu’ils ont la légitimité de s’affranchir de soi-disant lois économiques, ou environnementales, ou scientifiques, dont ils ne reconnaissent pas la validité. Et s’il leur faut pour cela fermer les frontières, nationaliser, ou au contraire, selon leurs préférences idéologiques, privatiser des services publics, ou autoriser la production d’énergies fossiles, ou limiter les droits sociaux des salariés, ou même   limiter la liberté d’expression, ils ne se gênent pas pour le faire.

Les deux ont évidemment tort :

Les économistes, d’abord, parce qu’ils se contredisent tellement entre eux, qu’il est aisé pour un politique, quoi qu’il pense, de trouver un économiste qui lui donnera raison.  De fait, il ’y a vraiment aucun point commun entre les solutions que propose un économiste libéral, qui recommandera le respect strict des équilibres budgétaires, le flottement de la monnaie, la privatisation des services publics, et celles que voudra imposer un économiste keynésien qui recommandera exactement l’inverse. Et on trouve la même opposition entre les écoles de pensée d’économistes, sur tous les sujets écologiques, technologiques, ou géopolitiques.

Les politiques ensuite ont aussi tort de vouloir imposer leur point de vue parce qu’ils ne peuvent nier qu’il y a des contraintes du réel, c’est-à-dire la rareté, et son mode de gestion principal, le marché, les sources de financement, qui sont de plus en plus exigeantes et qui s’imposent à lui tres brutalement s’il n’y prend garde. On l’a vu avec la situation européenne lors de la crise de l’euro qui suivit la panique bancaire américaine de 2008.   Et on le voit aujourdhui avec le refus de certains politiques d’accepter les contraintes climatiques, ou de respecter les exigences des marchés financiers quand on est emprunteur.

Parfois, les politiques parviennent à retarder les échéances, par un endettement qui n’est, à la fin, s’il ne finance pas des investissements, qu’une forme de procrastination devant les exigences des préteurs, c’est-à-dire de ceux qui rendent possible le fonctionnement futur d’un pays.

Le dépassement de ces contradictions passe comme toujours, par une plus large, englobante, de l’enjeu.

Les économistes doivent admettre qu’ils ne sont qu’un sous-groupe de pratiquants des sciences sociales, dont font aussi partie les historiens, les géographes, les démographes, les sociologues, les technologues, les géopoliticiens, les climatologues, les anthropologues, les ethnologues, les psychologues, les psychanalystes, et les tenants de bien d’autres disciplines, en particulier les spécialistes des sciences dures, qui ont eux aussi un mot à dire dans la compréhension des sociétés. Et c’est en analysant une situation d’un pays avec tous ces paramètres et de tous ces points de vue qu’on peut en avoir la clé.  Par exemple, on ne peut comprendre la démographie d’un pays, et son attitude à l’égard de l’immigration que si on étudie la place que sa civilisation a donné aux femmes et l’image des étrangers dans sa culture. On ne peut   pas non plus comprendre les limitations et les potentialités de l’Intelligence artificielle sans faire le rapport du société à la science, sans faire l’effort de la comprendre et d’écouter ceux qui la pratiquent.

Les politiques doivent comprendre que l’accumulation de connaissances, depuis des millénaires, sur les erreurs à ne pas commettre quand on gère une collectivité affrontée à des raretés, à des héritages, à des contraintes de toutes natures. Et ils doivent se faire l’effort de connaitre les résultats de tous ses savoirs ou au moins faire l’effort d’écouter ceux qui savent.

En se fondant sur trois principes essentiels :

  1. Ne rien affirmer qui ne soit fondé sur des preuves, autrement dit ne pas prendre de décisions qui ne soit pas « evidence-based ».
  2. Avoir toujours à l’esprit les meilleurs pratiques d’autres pays pour en tirer les leçons et les ’adapter en tenant compte de sa specificité nationale.
  3. Organiser   un dialogue permanent (et pas seulement en période électorale) avec tous les citoyens, sur la réalité de ces contraintes et sur ce qu’elles permettent de faire. Autrement dit, débattre en permanence d’un programme d’action à long terme.

C’est dans l’application de ses principes que se trouvent la base d’une démocratie lucide. 

Au moment où tant d’enjeux nous assaillent, dans chaque pays, comme à l’échelle du monde, ce dialogue, cette mise en commun de toutes les intelligences humaines, sera la clé de la préservation de la paix, de la croissance, et de la survie de l’humanité