Il est temps d’hybrider les mondes !
Environnement | Les pays
Notre société souffre des silos qui nous divisent, des étiquettes que nous passons nos vies à coller sur les uns et les autres, des cases où nous enfermons les autres et où nous nous enfermons nous-mêmes. Nous avons passé des siècles à voir le monde d’une manière morcelée, cela a influé sur nos métiers, sur notre organisation du travail, sur nos industries, sur le développement de nos sciences, de nos formations, de nos politiques publiques, sur l’organisation de nos filières ou encore sur nos territoires. N’est-il pas temps de créer des ponts entre les mondes?
De fait, si notre époque semble difficile, de petits signaux faibles montrent que tout n’est pas irréconciliable et qu’il y a des raisons d’espérer. Oui, il y a des petits signaux faibles d’hybridation qui témoignent de ce que nous sommes peut-être en train d’apprendre à voir le monde autrement qu’au travers de cases. Et si l’hybridation[1] était la grande tendance du monde qui vient?
L’hybridation, c’est « le mariage improbable »! C’est le fait de « mettre ensemble des métiers, des arts, des sciences, des compétences, des générations, des activités, des secteurs, des matériaux, des usages, qui, a priori n’avaient pas grand-chose à voir ou à faire ensemble, voire qui pouvaient sembler contradictoires, et qui, ensemble, vont donner lieu à de nouveaux usages, de nouveaux lieux, de nouveaux métiers, de nouveaux modèles, de nouveaux territoires, de nouvelles formes de gouvernance… De nouveaux mondes, en somme »[2]!
Au sein des écoles, des universités, des laboratoires de recherche, des entreprises ou encore des administrations publiques, on constate de plus en plus de rapprochements interdisciplinaires et des collaborations intersectorielles. De nouvelles manières d’habiter s’installent avec le coliving où l’on mutualise une buanderie, une chambre d’amis, une cuisine ou encore une voiture à l’échelle d’un immeuble ; des écoles rurales transforment leur cantine en restaurant pour tout le village et ouvrent leurs portes aux personnes âgées pour leur apprendre à se servir d’un ordinateur. Les territoires, eux, voient se développer des « tiers-lieux » : il s’agit d’endroits insolites qui mêlent des activités économiques, avec de la recherche scientifique, de l’innovation sociale ou encore des infrastructures culturelles. Demain, tous les lieux seront des tiers-lieux et mêleront des activités, des publics, des usages différents : cela va toucher les écoles, les musées, les restaurants, les hôtels, les offices de tourisme, les mairies, les incubateurs de startups ou encore les galeries marchandes. On observe déjà des expositions de peinture dans les centres commerciaux, des résidences d’artiste dans des hôtels ou encore des crèches dans des maisons de retraite. Nous voyons dans le même temps se multiplier des partenariats inédits entre des écoles, entre des entreprises, entre des secteurs d’activité… Nous assistons à l’émergence de nouvelles combinaisons et re-combinaisons et ces phénomènes créent de nouvelles solidarités et rapprochent ce qui avait été artificiellement séparé.
Parmi les missions confiées à l’enseignement agricole[3] en France se trouve celle de l’animation du territoire, de la contribution à la dynamique des territoires. Mais cette responsabilité territoriale ne devrait-elle pas être celle de toutes les écoles, de toutes les universités, et pas seulement celles de l’enseignement agricole ? Cette responsabilité territoriale ne devrait-elle pas être celle, non seulement des écoles, mais aussi des musées, des entreprises, des maisons de retraite, des hôtels, des restaurants, des usines et des opéras, de toutes les parties prenantes du territoire ?
Demain, on évaluera une entreprise, une association, une école, une politique publique selon sa capacité à créer des ponts entre les mondes, à cultiver des écosystèmes territoriaux ; autrement dit, par rapport à sa capacité à « hybrider » et à « s’hybrider »[4]. Tant que chaque acteur de la Cité restera enfermé dans sa case, dans son monde, il n’y aura pas de contrat social.
Le monde du travail n’échappe pas à cette tendance et on assiste à une hybridation des vies professionnelles avec de plus en plus de travailleurs qui développent des activités parallèles, passent d’un métier à un autre, d’un univers professionnel à un autre. Ce faisant, il s’opère une transposition des compétences, d’un métier à un autre, d’un secteur à un autre, d’une activité à une autre, et à terme, une forme d’hybridation des compétences. Cela remet complètement en question les fiches de poste et demain, on ne parlera plus de « métier », mais de socle de compétences en perpétuelle combinaison et recombinaison. Cela permettra à chaque entreprise de s’ouvrir à d’autres horizons, à d’autres cultures, à des méthodes et dispositifs issus d’autres univers professionnels que les siens et cette ouverture d’esprit lui permettra d’être plus créative pour imaginer de nouveaux services, des méthodes, des modèles organisationnels et des partenariats inédits. De quoi être plus forte lorsqu’un prochain virus covid-19 ou un prochain virus informatique arrivera…
Il est venu le temps de remettre en question les frontières absurdes et artificielles que nous avons créées entre les métiers, entre les secteurs, entre les formations, entre les territoires, entre les générations et de relier les mondes !
[1] Gabrielle Halpern, Penser l’hybride, Thèse de doctorat en philosophie, 2019.
[2] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.
[3] Gabrielle Halpern, « Penser l’hospitalité », Editions de l’Aube, 2022 (coécrit avec Cyril Aouizerate).
[4] Gabrielle Halpern, « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation », Le Pommier, 2020.