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Se désendetter quoi qu’il en coûte ?


Politiques publiques | Les pays

Au cours des quinze dernières années les taux d’endettement public ont pratiquement doublé dans les « pays avancés » pris globalement. C’est le résultat de crises successives, mais aussi du niveau du niveau historiquement très faible des taux d’intérêt qui ont pu inciter les Etats au laxisme. De sorte que leur capacité d’action et de régulation se trouve aujourd’hui contrainte.

Faut-il donc qu’ils engagent un processus de désendettement à un moment où se présentent des besoins d’investissements massifs liés à la transition énergétique, à la recomposition des échanges internationaux, à la réhabilitation des infrastructures et services publics… ? Une telle déduction n’a rien d’évident car le niveau des taux d’endettement n’est pas un indicateur pertinent pour répondre à cette question qui renvoie à la soutenabilité des dettes publiques. Celle-ci dépend d’un ensemble de variables de natures diverses (la maturité de ces dettes et le statut de leurs détenteurs, la capacité de l’Etat à lever l’impôt…) de sorte qu’elle ne peut être quantifiée aussi facilement : il n’existe pas de « chiffre magique » fixant une limite à la solvabilité d’un Etat. Ce qui explique et justifie les fortes différences observées entre les taux d’endettement de certains pays développés. En réalité, ce qui importe pour juger de la solvabilité ce n’est pas le niveau de ce taux mais plutôt l’analyse de sa trajectoire prévisible, plus précisément sa capacité à se stabiliser sur le moyen-long terme (à ne pas évoluer de façon exponentielle).

Ainsi l’impératif pour les pays qui ont laissé driver leurs finances publiques n’est pas en toute hypothèse de se désendetter (ce qui supposerait des excédents budgétaires) mais de parvenir à corriger la trajectoire de leur taux d’endettement. Or, cette trajectoire dépend des soldes budgétaires primaires (nets du coût des dettes) anticipés et de l’écart entre d’une part le taux de croissance de l’économie et d’autre par le taux d’intérêt réel porté par les dettes. Les calculs montrent alors que si la croissance reste au niveau modeste qu’elle a connu en moyenne dans la plupart des pays avancés depuis le début des années 2000 (disons entre 1 et 2 %) et si les taux d’intérêt réels ne reviennent pas à leur très faible niveau du passé (et se situent autour de 1%), il faudrait que les déficits budgétaires primaires n’excèdent pas 1% pour stabiliser la trajectoire en question. Ce qui signifie que dans certains pays il sera nécessaire d’opérer un sérieux redressement des finances publiques et aussi de renoncer à une bonne partie des investissements qui ont été précédemment évoqués.

Mais le raisonnement ne peut s’arrêter là, car les restrictions budgétaires risquent bien d’avoir une incidence négative sur la croissance et donc réduire leur effet stabilisant sur le taux d’endettement si elles ne sont pas correctement ciblées. Ce sera le cas notamment si la baisse des dépenses publiques porte sur des investissements plutôt que sur des consommations, si la hausse de la fiscalité affecte la compétitivité des entreprises, si elle pèse trop sur les agents à forte propension à consommer, ou plus généralement si ces tentatives de rééquilibrages sont perçues comme inéquitables, mettant en cause les équilibres sociaux.

 Ce rapport des décisions budgétaires à la croissance peut d’ailleurs suggérer des réponses qui sembleront paradoxales et provocantes à la question qui nous est posée. Car sa prise en compte peut amener à se demander si une augmentation de l’endettement consacrée au financement d’investissements, censés accroitre la productivité, n’est pas finalement la meilleure façon de stabiliser la trajectoire à moyen-long terme et de rendre ainsi soutenables les dettes publiques. Cette proposition, déjà évoquée et promue du reste par divers observateurs, a naturellement un côté paradoxal ; d’autant qu’au sein de la zone euro elle conduirait sans doute quelques-uns des pays membres à s’affranchir des règles budgétaires récemment reformulées. II reste que face au faisceau de contraintes auquel sont confrontées nombre d’économies, la quête d’un rebond de la croissance devient incontournable. Plaider et agir en ce sens ne dispenserait certainement pas de révisions en profondeur des politiques de finances publiques. Mais cela éviterait au moins de réduire la stratégie budgétaire à un objectif simpliste qui pourrait s’avérer excessivement coûteux.