Tant qu’il y a de l’espoir, il y a de la vie.
Politiques publiques | Les pays
Écrit pour la session 35 – Réintroduire le long-terme dans les décisions politiques
La science économique a été longtemps très utile, en clarifiant les concepts nécessaires pour décrire le fonctionnement des marchés, de l’allocation des ressources, et en particulier de la valeur du bien le plus difficile à concevoir, le temps. Elle est aujourd’hui encore fort précieuse pour la gestion des entreprises, des marchés financiers, de la monnaie, et pour ce qui découle de la comptabilité privée ou publique. Elle est par contre encore trop coupée des autres sciences sociales, trop enferrée dans des modèles mathématiques naïfs, quand, à l’inverse, elle ne se limite pas à faire l’apologie de méthodes sommaires d’essais et erreurs.
Elle aurait tout à gagner à s’inscrire dans le vaste domaine des sciences sociales. Pour cela, il faudrait encore qu’on cesse de penser en silo, pour penser en pont. Pour s’intéresser à tout ce qui fait société. On s’aperçoit alors que la science dominante est l’Histoire. Et en particulier l’histoire économique, inséparable de celles des pouvoirs, des idéologies, des sciences, des techniques, des arts, des institutions, des pouvoirs, et de la nature.
Cela m’a amené à introduire deux concepts qu’il me semble urgent aujourd’hui d’approfondir : « société positive » et « économie de la vie ».
Une société est « positive » si elle prend ses décisions en fonction de l’intérêt des générations futures. Le même concept vaut pour une entreprise, une famille, et un individu. Une action est négative si elle nuit aux générations futures. Elle est neutre si elle n’influe pas sur elles. Une fois ce concept posé, il faut aller beaucoup plus loin : qu’est-ce que les « générations futures » ? Comment définir leur « intérêt » ? Comment le connaître et le prévoir ? Comment savoir en quoi nos décisions influent sur elles ? Ce sont là d’immenses champs de recherche ; et ce qui se passe sur le climat, sur la biodiversité, sur les inégalités sociales, sur l’éducation, sur la santé, sur les menaces idéologiques sur l’alimentation nous en montre l’urgence. Il est important d’ailleurs de ne pas oublier que le climat n’est pas le seul enjeu : imaginer une société au climat tempéré mais où tout le monde serait ignorant, mal soigné et n’obéirait à aucune règle de droit : ce serait un enfer. Une société positive serait celle qui assurerait tous ces services, d’une façon juste et ouverte, à tous. Pour moi, il est évident que nous, vivants d’aujourd’hui, nous avons intérêt au bonheur de ceux qui ne sont pas encore nés, pas seulement dans notre famille, mais sur la planète tout entière. On peut alors arriver à une conclusion simple : une décision qui n’est pas positive devrait être interdite par la loi. Tout cela exige un immense travail théorique, pratique, juridique, pour être précisé.
En particulier, dans le domaine proprement économique, certains secteurs sont plus positifs que d’autres. Ils forment ce que je nomme « l’économie de la vie ». Les autres forment « l’économie de la mort ».
Les secteurs de l’économie de la vie rassemblent toutes les activités qui ne nuisent pas aux générations futures. Très globalement on y trouve éducation, santé, culture, démocratie, énergies renouvelables, alimentations saines, agriculture régénérative, finance et assurance durables, eau, recyclage, sécurité.
Les autres activités économiques, (qui utilisent les énergies fossiles, les sucres artificiels, les pesticides, les engrais azotés, et toutes les formes de drogue) doivent être dénoncées comme « économie de la mort ». Elle forme aujourd’hui plus de la moitié du PIB de chacun de nos pays. Plus la moitié de la consommation de chacun d’entre nous.
A court terme, l’économie de la mort à un taux de rentabilité plus élevé que l’économie de la vie. A long terme c’est l’inverse.
Le basculement de l’économie de la mort vers l’économie de la vie est un projet passionnant, qui sera créateur d’emplois et de croissance. Il devrait être le projet de chaque entreprise, de chaque banque, de chaque fond d’investissement, de chaque gouvernement. Il devrait constituer le premier critère de la technologie. Par exemple, en quoi l’IA est-elle positive ? Utile à l’économie de la vie ? A l’évidence, elle peut être l’un et l’autre. Ce n’est pas une question de technologie mais de choix de société. Comme ce fut le cas pour toutes les grandes innovations précédentes.
Qui sera la première « banque de l’économie de la vie ». Qui seront les premières entreprises qui s’afficheront ouvertement comme « entreprises de l’économie de la vie » ? Quels fonds d’investissement seront les premiers à éliminer leurs investissements dans les secteurs de l’économie de la mort ?
La survie du vivant exige de l’audace. C’est le moment.