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Nouvelles technologies, futur de l’industrialisation


Industries & Innovation | Les pays

Écrit pour la session 15 – Nouvelles technologies, futur de l’industrialisation

Après une baisse de la part du secteur industriel dans le pib et dans l’emploi dans les pays européens, on assiste dans la période récente à une stabilisation autour de 15% pour les deux indicateurs[1]. Le progrès technologique sera-t-il porteur d’une nouvelle industrialisation en Europe ? Cette question a repris de l’actualité pendant la crise sanitaire lorsque les retards français et européens en matière d’industrialisation ont été soulignés. Depuis, le déploiement hétérogène de la 5G dans les industries européennes ou celui de la voiture électrique massivement exportée par les pays d’Asie, la domination des plateformes numériques dites gatekeepers rarement européennes, mais également l’importance des innovations vertes, placent cet enjeu au cœur de l’actualité : le déclin des industries traditionnelles sera-t-il compensé par une réindustrialisation, une industrie 4.0, portée directement ou indirectement par les nouvelles technologies ?

L’industrie 4.0 qualifie de manière large le sous-ensemble des transformations technologiques numériques mises en œuvre par les entreprises industrielles. On y inclut à la fois la modernisation des industries traditionnelles, et l’essor de nouveaux produits et entreprises. Les nouvelles technologies regroupent un ensemble vaste d’innovations autour des technologies de l’information, du numérique, mais également des technologies appliquées à la finance ou à la monnaie, ou encore au commerce électronique, et des technologies vertes ou bas-carbone. L’impression 3D, la robotique, les nouveaux matériaux, les système d’information et de communication intelligente, le big data, l’internet des objets, sont autant d’exemples de ces technologies.  

Il s’agit donc d’examiner l’apport de ces nouvelles technologies aux industries et leur potentiel de réindustrialisation. Ce premier enjeu double deux autres enjeux implicites. Il s’agit de savoir dans quelle mesure cette nouvelle industrialisation est porteuse de développement économique. Autrement dit dans quelle mesure les industries, relativement à d’autres secteurs économiques tels que les services, auraient un effet plus important sur le reste de l’économie via la diffusion des gains de productivité sur les autres entreprises, les travailleurs, et in fine sur le revenu moyen. Enfin, le troisième enjeu est celui de ce qu’on appelle la souveraineté industrielle ou technologique européenne dont les crises d’approvisionnement dans divers secteurs depuis trois ans ont pu souligné l’importance. Cette note plante le décor des inquiétudes et des points de débat pour que les nouvelles technologies portent bien l’espoir d’une industrialisation conciliable avec le bien-être des populations.

I – A quelles conditions les nouvelles technologies portent-elles un espoir d’industrialisation ?

Tout d’abord, il s’agit de vérifier si les nouvelles technologiques modifient bien les processus de production et la productivité industrielle et non uniquement nos loisirs ou nos modes de vie. Est-ce que le numérique est une révolution réellement technologique et industrielle ou n’est-il qu’une simple modification de la qualité ou de nos modes de vie : avec les plateformes numériques telles que You tube, Uber ou Netflix nos loisirs, nos vies, changent mais pas nos processus de production. Cette hypothèse critique a été défendue par quelques macro-économistes dont R. Gordon[2] qui s’appuient pour défendre leur scepticisme en particulier sur le faible impact de ces innovations sur la productivité mesurée au niveau macroéconomique. Les gains de productivité y compris dans les secteurs ou les entreprises transformées par les nouvelles technologies restent également relativement modestes. En réalité ils sont portés par les industries les plus avancées, les plus compétitives, les plus près de la frontière technologique, comme le montrent par exemple les travaux de Ph. Aghion[3]. Il s’agit donc d’examiner à quelles conditions, ce sont bien les industries et non les services par exemple qui sont le plus transformées par le numérique et comment cette transformation se mesure en gain de productivité, en gain de compétitivité, et en localisation industrielle.

La deuxième question est celle de l’apport en termes non seulement de productivité mais de développement économique. En effet, les innovations peuvent être limitées à des réductions de coûts, c’est le cas par exemple si on pense à la robotisation, et permettre en Europe des relocalisations dites ricardiennes, liées à des regains d’avantages comparatifs en termes de coût de production relatif. Néanmoins ces innovations peuvent aussi s’inscrire dans un processus dynamique, ancré dans le tissu industriel, et être porteuses d’effet externes positifs sur l’écosystème et par conséquent causer des relocalisations dites schumpétériennes dues à un regain en termes d’avantages comparatifs plus structurels. Quelles sont les conditions pour déployer des innovations sources de relocalisation schumpétériennes plus pérennes ?

Pour répondre à ces deux questions, un premier contre sens à éviter serait d’opposer frontalement le secteur industriel au secteur tertiaire. En effet, d’une part les limites entre industries et services sont de plus en plus brouillées : les statistiques de la comptabilité nationale sous-estiment par exemple l’emploi dans le secteur industriel lorsque les industries externalisent leur service juridique ou marketing, et inversement les industries produisent certes des biens manufacturiers mais deviennent également des producteurs de services. Par exemple dans le secteur automobile la survie des industries passe par l’intégration des services de mobilité, une conception intégrant les données et les besoins en services des usagers de la voiture. D’autre part, les entreprises industrielles intègrent dans leurs activités de services ces innovations technologiques et la valeur ajoutée qui en résulte. La création de valeur ne se fait plus uniquement dans la production de biens ou l’assemblage mais pour une grande partie dans la logistique, la gestion de la supply chain, les services après-vente, le marketing etc. ; donc dans des services internes ou liés à la production industrielle et également transformés par le numérique. La troisième révolution industrielle, celle qui a commencé dans les années quatre-vingt, autour de l’informatique, a comme trait caractéristique l’effacement des frontières entre industries et services. Les industries intègrent ces avancées dans leur équipement, la logistique est au cœur de la productivité industrielle, chaque entreprise est très intégrée dans un écosystème de partenaires, clients, concurrents relativement interdépendants dans des systèmes de comptabilités technologiques. D’ailleurs les consommateurs et les entreprises clientes demandent elles-mêmes des services qui intègrent ces solutions techniques.

Néanmoins, même si une approche étanche de l’industrialisation est à éviter, il faut insister sur l’impact sur l’ensemble de l’économie qu’ont les activités industrielles à haute valeur ajoutée[4].  Ce qui est important, c’est bien l’impact qu’une industrie a sur son écosystème : par exemple la part de la recherche et développement assurée par l’industrie est à 60% en Europe. Les écarts au sein de l’Europe sont à cet égard importants : l’Allemagne et l’est de l’Europe semblent bien positionnés et à l’inverse la Grèce, la Grande Bretagne et la France le sont moins. C’est la résultante bien sûr d’un effet volume (la taille de l’industrie dans l’économie) et d’un effet productivité (l’intensité en R&D dans l’industrie), donc malgré la croissance de productivité de ce secteur ça n’a pas toujours compensé la baisse de la taille du secteur. En général les industries dites « high tech » donc intégrant les nouvelles technologies ont une part dans la R&D européenne plus faible que celle des Etats-Unis ou du Japon, principalement en raison d’un effet volume : par exemple les industries de semi-conducteurs ou celle des logiciels ou encore des équipements télécoms sont plus souvent localisées aux Etats-Unis et en Asie. A l’inverse les industries moyennement intensives en recherche et développement et moins porteuses de croissance économiques sont plus localisées en Europe, c’est le cas de l’automobile. Ce constat en demi-teinte est confirmé par l’indicateur de dépôt de brevets européens : l’Europe ne se spécialise pas dans les secteurs les plus porteurs d’innovation technologique que sont la biotechnologie, l’industrie pharmaceutique, les technologies médicales, nanotechnologies, les technologies vertes ou les TIC.

II – Les contours d’une industrialisation 4.0 soutenable 

Si donc la réponse est positive à la première série de questions, reste celle de savoir dans quelle mesure l’écosystème européen de régulation/recherche/entreprises est capable de se saisir de ces nouvelles technologies pour porter l’industrialisation de demain. Comment peut-on articuler un écosystème favorable à ces nouvelles technologies et à leur insertion dans les industries de demain ? Quelles politiques publiques peut soutenir ce développement technologique et industriel ? Comment peut-on en particulier développer les pôles d’innovation et industrialisation compétitifs?

On peut plus largement se demander quelles contraintes ou conditions de soutenabilité s’imposent à cette industrialisation future.  Les contraintes peuvent être d’ordre géopolitique : L’innovation peut-elle permettre une nation de gagner en souveraineté industrielle ? Les contraintes sont également sociales et climatiques :  Ces nouvelles technologies de l’industrialisation doivent-elles se limiter à des innovations « vertes » ?

Pour schématiser, on pourrait dire que l’industrie de demain n’est pas le lieu de production d’un bien manufacturier avec des ouvriers non qualifiés travaillant à la chaine. Par conséquent une politique industrielle « à l’ancienne » qui se résume à des subventions publiques directes ou indirectes à des entreprises des industries traditionnelles passe à côté des nouveaux enjeux.

Le rapport Bruegel de 2017 soulignait par exemple que la politique industrielle devait être horizontale et non verticale c’est-à-dire soutenir l’intégration des technologies dans tous les secteurs et même remonter l’échelle de cette intégration vers des activités au plus près de la R&D, et pas soutenir une industrie en particulier. Il est donc crucial de mettre la recherche et l’innovation au cœur de la compétitivité industrielle et de la politique industrielle. Les Etats-Unis ou le Japon ont plus que l’Europe par exemple des industries et des services intégrant des activités à très haute intensité de R&D.

Il est certes plus simple pour la politique publique de « désigner un gagnant », que ce soit une entreprise ou une technologie en lui accordant le bénéfice des subventions publiques ou du protectionnisme. Mais cette approche est non seulement distorsive mais également vouée à l’échec tant sont nombreux les exemples de mauvais choix industriels faits par la puissance publique. Une politique pro-concurrentielle est un premier élément de soutien aux innovations. Il faut donc intégrer structurellement les considérations concurrentielles aux politiques industrielles au lieu de les considérer comme antagonistes.

A l’inverse, les pouvoirs publics sont attendus dans la construction d’écosystème institutionnels favorables à l’innovation comme par exemple des normes communes et des standards –on peut penser à la voiture électrique, à la mise en place d’infrastructures comme par exemple au réseau internet à très haut débit ou une infrastructure cloud au niveau européen ; Une politique industrielle doit intégrer une compréhension fine de comment s’organisent les relations entre les grandes entreprises industrielles qui peuvent être lourdes en processus interne ou ralentie par l’inertie de production et les petites entreprises, start-ups, plateformes parfois plus agiles et plus promptes à intégrer les innovations technologiques.  De même les inventions se testent avant de devenir des innovations intégrées par le marché. Elles se testent en laboratoire de R&D au sein de l’industrie, parfois en collaborations avec des start-ups externes. Les pouvoirs publics sont efficaces dans la gestion de ce risque de l’innovation, en soutenant et partageant collectivement les cas d’usages et les expérimentations. La mise en place d’écosystèmes où s’expérimente le nouveau bien ou service, (bacs à sables par exemple) entre des industriels et des universités et parfois un allègement expérimental des règlementations sectorielles peut aider à déployer l’innovation en mode industriel en exhibant les pièges ou les difficultés.

Surtout, peut-être le plus important, les politiques publiques sont nécessaires dans leur soutien à la recherche et un système éducatif qui forme aux sciences et en particulier, aux mathématiques et à l’informatique. Une politique industrielle c’est aussi une politique éducative, et une politique de recherche.

C’est une révolution intellectuelle qu’il s’agit de mener pour la politique publique : si la politique industrielle consistait à choisir le gagnant en le subventionnant, aujourd’hui l’enjeu est pour l’Etat de mettre en place les infrastructures propices à l’innovation. Cette nouvelle politique industrielle est donc compatible avec une politique concurrentielle. L’enjeu est dans la construction d’écosystème de formation et de recherche fondamentale est appliquée, d’un cadre réglementaire souple et qui s’adapte, pour favoriser les innovations. Cela se décline également en matière de politique sur le marché du travail puisqu’il s’agit d’attirer et d’intégrer les compétences dans le tissu industriel. Des travaux récents (A. Reshef 2023[5]), montrent par exemple que la polarisation du marché de l’emploi, est également portée par la croissance des entreprises qui emploient des « techies », des ingénieurs et des techniciens. Ces derniers favorisent les innovations technologiques et la croissance du niveau de productivité de l’entreprise, bien au-delà du simple effet direct de la hausse de la R&D.


[1] 13,3% pour la part dans le PIB en France, et 11,4% pour la part dans l’emploi en France (INSEE 2022)

[2] Gordon, R., 2016, The Rise and Fall of American Growth. The U.S. Standard of Living since the Civil War, Princeton, Princeton University Press.

[3] Aghion, Ph., Bergeaud, A., Timoboppart, P., 2022, Good Rents versus Bad Rents: R&D Misallocation and Growth.

[4] Bruegel Institut, 2017, Remaking Europe : the new manufacturing as an engine for growth, R. Veugelers, Blueprint Series N°26.

[5] Harrigan, James and Reshef, Ariell and Reshef, Ariell and Toubal, Farid, Techies and Firm Level Productivity (2023). CESifo Working Paper No. 10468.

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