Un événement du Cercle des économistes
Espace Media

Médias et experts , renouer avec leur rôle démocratique


Sociétal | Modes de gouvernance

Écrit pour la session 2 : « Médias & experts, renouer avec leur rôle démocratique »

Depuis l’élection américaine de 2020, au cours de laquelle les réseaux sociaux ont joué un rôle important, le monde a connu, entre autres évènements de portée mondiale, la crise du Covid et depuis le 24 février 2022, la guerre en Ukraine.

L’actualité récente foisonne d’exemples de situations où les médias jouent un rôle déterminant dans la construction du socle d’informations partagées par les citoyens, souvent bien au-delà de leurs frontières et, partant, dans la construction du « récit » à partir duquel ils se forgent leur opinion, quel que soit leur bord politique. Toutefois, les médias traditionnels où l’information est traitée et vérifiée par des journalistes professionnels ayant à la fois une compétence et une éthique, faisant appel à des experts diversifiés pour éclairer une réalité complexe, se trouvent souvent dépassés par les réseaux sociaux qui relaient parfois des informations non vérifiées, quand ce ne sont pas des « fake news » ou des théories complotistes.

Dans le cas du Covid, la présence constante des experts dans les médias, pourtant généralement pédagogues et prudents, n’a pas suffi à empêcher la diffusion d’informations fantaisistes, propagées par les réseaux sociaux, sur la vaccination et ses effets supposés ou bien sur l’origine du virus. Dans le cas de l’Ukraine, les opérations de propagande, usuelles en temps de guerre, voient leur puissance démultipliée par les réseaux sociaux, la Russie barrant même complètement l’accès à l’information pour ses propres citoyens. Les effets de réseau, à l’œuvre dans la propagation des informations et inhérents au fonctionnement des plateformes numériques, rendent très difficilement contrôlable la nature des contenus en circulation et la puissance de la rumeur y atteint des niveaux que les médias traditionnels ont du mal à contrebalancer par des informations authentifiées ou des interventions d’experts fondées sur les avancées scientifiques.

Anne Perrot

Pour les économistes, les questions de l’intervention dans le débat public, de ses formes, des messages reçus par le public se posent depuis longtemps. Appelés à éclairer les choix de politique économique, les économistes professionnels sont souvent assimilés à un camp politique déterminé, ce qui parfois brouille le message qu’ils voudraient faire passer.

La parole des experts est entravée

Du côté de la science, la puissance de la parole des experts est entravée par le fait que la plupart des sciences ne permettent pas de faire des prédictions autres que probabilistes, de raisonner par scénarios assortis de degrés de vraisemblance : l’évolution de l’épidémie de Covid en a fourni un bon exemple. Le nombre futur de contaminations, le nombre de malades hospitalisés, celui des décès dépendent de la combinaison de plusieurs facteurs, certains liés au comportement humain (respect de l’isolement et des autres mesures de protection), d’autres à des mutations du virus. La seule chose que les experts (épidémiologistes, statisticiens) peuvent faire, c’est d’évaluer la vraisemblance relative de différents scénarios. En mettre un avant, c’est évidemment prendre le risque de se tromper et d’apparaitre ensuite décrédibilisé aux yeux du public. Mais il est difficile de communiquer au grand public sur des scénarios assortis de probabilités de réalisation. Les instituts de sondage indiquent bien les intervalles de confiance de leurs résultats, mais l’expérience prouve qu’ils sont rarement entendus et compris.

Les médias et notre rapport à l’information ont évolués

Du côté de l’information, la difficulté réside dans le fait que la matière mêle par nature opinions et faits : bien que les uns et les autres ne soient nullement substituables, le traitement des faits, leur ordre de présentation, leur mise en perspective etc reflètent souvent l’opinion de celui qui les présente. En tout cas la manière de présenter les faits a un fort pouvoir d’influence sur le public. S’ajoute à cette difficulté, déjà présente dans les médias traditionnels, le pouvoir multiplicateur des réseaux sociaux et des contenus qui transitent par leur intermédiaire. Là encore, la crise sanitaire offre une illustration privilégiée de la concurrence que se livrent les informations vérifiées et les théories complotistes.

Pour les économistes, les questions de l’intervention dans le débat public, de ses formes, des messages reçus par le public se posent depuis longtemps. Appelés à éclairer les choix de politique économique, les économistes professionnels sont souvent assimilés à un camp politique déterminé, ce qui parfois brouille le message qu’ils voudraient faire passer. Comme dans d’autres domaines scientifiques, leurs prévisions sont probabilistes et la confrontation de scénarios trop simples avec le réel a souvent vocation à mal tourner…

Comment les médias et les experts peuvent-ils assurer leur fonction d’animation du débat démocratique à l’ère des réseaux sociaux ? Les experts sont-ils encore audibles à l’heure où la rumeur est souvent plus puissante que la parole scientifique, moins simple et moins affirmative ? La coexistence entre les médias et les réseaux peut-elle s’organiser d’une façon propice à la domination des informations vérifiées sur les fake news ? Telles sont quelques-unes des questions qui seront débattues lors de cette table ronde.


Anne Perrot, membre du Cercle des économistes, Inspectrice générales des finances