La fiscalité, enjeu démocratique
Sociétal | Modes de gouvernance
Écrit pour la session 31 « La fiscalité, enjeu démocratique »
Le lien entre fiscalité et démocratie est ancien, il est au cœur même, avec le consentement a l’impôt, du contrat social depuis le Moyen Âge. En Angleterre, puis en France, et sous bien des latitudes. La séance que nous aurons à Aix ce samedi 9 juillet peut choisir d’aller dans bien des directions tant la matière est vaste et vivante et nous verrons bien où elle nous conduira.
Je souhaiterais juste apporter un éclairage complémentaire sur deux aspects du débat qui me paraissent important, et a bien des égards encore peu étudiés, en ce début de 21e siècle.
Premier angle : la feuille de route que nous nous sommes donnés en 2015, en adoptant les objectifs du développement durable puis en nous engageant sur les accords de Paris sur le Climat, pour aller ensemble vers une économie plus inclusive, plus résiliente, plus durable. C’est une feuille de route ambitieuse, une feuille de route qui nous oblige. Une feuille de route qui soulève bien des questions et force a bien des réflexions. On ne peut laisser en particulier de côté la fiscalité.
On l’a vu de manière un peu brutale à l’occasion de l’épisode des gilets jaunes en France. La crise de l’énergie impliquée par la guerre en Ukraine remet le sujet sur la table. On le voit de nouveau avec l’idée d’une taxe carbone aux frontières en Europe. Mais la question de la fiscalité carbone n’est sans doute que le premier étage d’une fusée d’une fiscalité à repenser. De même que nous sommes pousses a repensé notre modèle économique, je ne crois pas que nous puissions faire l’économie, d’une réflexion très en profondeur sur nos modèles fiscaux. Au-delà d’une simple fiscalité verte, et de l’éventuelle politique de redistribution associée, on voit bien aujourd’hui le défi environnemental au-delà du seul défi climatique. La fiscalité carbone est un premier élément qui permet de poser le sujet. Mais peut-être faudrait-il commencer à débattre de fiscalité liée à la nature, à la biodiversité, à l’utilisation des terres par exemple. Mais aussi prendre en compte la question sociale et au sein de la question sociale, la question des inégalités. Cela est très intimement lié à la question de la fiscalité depuis toujours mais les termes sont renouvelés au moment où le débat sur les inégalités est lui aussi renouvelé.
Cette question des inégalités est prégnante à l’échelle de la planète, mais elle est prégnante dans la plupart des économies, les économies développées bien sûr, mais aussi au sein même des économies émergentes. Et donc si nous nous sommes collectivement engagés en faveur d’une économie qui soit à la fois inclusive, résiliente et durable il est impossible de ne pas réfléchir aux voies et moyens d’une fiscalité qui soit à la fois inclusive, résiliente et durable. Cela veut dire bien sûr passer au tamis de cette approche les instruments fiscaux que nous connaissons aujourd’hui et que nous utilisons. Cela veut dire, évidemment inventer de nouveaux instruments qui nous permettent d’aller dans cette direction. Et auxquels il faut consentir. Les travaux ne font que commencer et j’espère que nos débats nous permettront d’avancer et d’ouvrir quelques pistes.
Si nous nous sommes collectivement engagés en faveur d’une économie qui soit à la fois inclusive, résiliente et durable il est impossible de ne pas réfléchir aux voies et moyens d’une fiscalité qui soit à la fois inclusive, résiliente et durable.
Second point sur lequel je voulais attirer l’attention des participants, c’est la fiscalité dans les pays émergents et en développement. Toujours lié aux engagements que nous avons pris en 2015 en faveur des objectifs du développement durable et pour lutter contre le changement climatique, engagements renforcés depuis, malgré des incertitudes liées à la pandémie ou à la guerre en Ukraine. Ces engagements nécessitent des moyens considérables. Une partie de ces moyens sera évidemment apporté par des flux Nord-Sud, que ce soient les investissements directs, les transferts des migrants, ou l’aide au développement par exemple. Mais force est de reconnaître que la très grande partie des ressources nécessaires pour financer les engagements pris en 2015 va venir des différents marchés domestiques, l’épargne locale bien sûr, mais aussi et peut être avant tout les ressources fiscales, ce que l’on appelle dans le jargon international Domestic Resource Mobilisation, la mobilisation domestique des ressources. L’effort est considérable dans la plupart des pays émergents et en développement. Le niveau de la fiscalité est faible, le taux de prélèvement obligatoire est souvent inférieur à 20% voire 10% par rapport au PNB.
Il y a par ailleurs des questions de structure. Pas toujours de TVA, pas toujours d’impôt sur le revenu beaucoup de droits de douane, de taxes sur la consommation, … Un système très déséquilibré, parfois régressif. Les axes à développer sont donc multiples. Travailler à une fiscalité moderne, travailler à un système de collecte de l’impôt moderne et travailler à un cadre fiscal adapté. Et sur ces bases ? D’une certaine manière, passer directement à une fiscalité qui soit celle requise pour ce développement inclusif, résilient et durable que nous avons collectivement – économies avancées, économies émergentes et économies en développement – adopté en 2015.
Ces 2 chantiers, celui de la transformation de nos fiscalités dans les économies avancées comme celui du big-bang fiscal dans la plupart des pays émergents et en développement, sont indispensables pour être à la hauteur des engagements que nous avons pris en 2015. Le faire dans des conditions qui respectent les principes démocratiques qui permettent l’adhésion de tous dans un contrat social renouvelé est un enjeu majeur, peut être un des combats très importants de nos sociétés au 21e siècle. En tout état de cause, le lien entre fiscalité et démocratie ne disparait pas. Il va être renouvelé. Profondément.
Bertrand Badré, Managing Partner et fondateur de Blue like an Orange Sustainable Capital