La surpuissance de l’Etat se justifie-t-elle par la crise ?
Par Patrick MIGNOLA, Député de Savoie & Président du groupe MoDem et Démocrates apparentés
Avant même la crise sanitaire, la France souffrait depuis des années d’une surpuissance de l’Etat, déployée dans tous les domaines. Cette maladie s’est répandue jusque dans nos collectivités locales, où la dépense publique est devenue le mauvais réflexe, revendiquée par tous et pour tout. Pourtant face à la pandémie du Covid19, la maladie est devenue le remède. Durant 18 mois, nous avons nationalisé l’économie française, à grand coup de renfort aux entreprises, avec la mise en place du chômage partiel, des prêts garantis par l’Etat, du report de l’encaissement des dettes, ou encore du réquisitionnement de stocks et d’infrastructures de production. Par ailleurs, plus de 100 milliards d’euros ont été investis à l’occasion du plan de relance. Ce n’est pas sans ironie s’agissant d’un pays qui avait élu le Président de la République décrit voir caricaturé comme le plus libéral, lui qui avait fait la promesse d’un Etat agile et stratège.
La puissance de l’Etat comme rempart face aux crises :
Face à cette pandémie, la surpuissance des pouvoirs publics était indispensable. Aucun autre choix ne s’offrait, pour un gouvernement responsable, que de mobiliser toutes les ressources disponibles. Nous avions appris des erreurs de la crise de 2008 où, sous le poids de l’omnipotence de la dette, notre soutien à l’économie fut trop ciblé et modeste. Face à cette pandémie qui nous frappait, le coût de l’endettement était finalement une mince contrepartie face au risque d’effondrement de notre économie. Le temps de la reconstruction, les pertes fiscales induites et les nombreuses difficultés sociales du fait de l’explosion du chômage, nous auraient conduits à notre perte.
Toutefois, si l’action des pouvoirs publics a été guidée pendant un an et demi par une logique de survie, cette période sera sans nul doute la meilleure réponse empirique à tous ceux qui défendaient encore des théories de décroissance. Un Etat ne peut pas vivre durablement en dépensant plus qu’il ne collecte et assurer un modèle social en postulant une baisse des recettes.
Une puissance qui ne peut raisonnablement subsister après la crise :
Par sa brutalité, la crise nous a réveillés. Au sens étymologique grec, la krisis s’est imposée à nous comme le moment de faire des choix.
Depuis 1974, l’Etat ne sait plus équilibrer son budget et cibler son action, sous le double couperet de l’immense appétence des Français pour la dépense publique et du renoncement à une réelle politique industrielle.
Tout d’abord sur le plan financier, si certaines mesures peuvent être entreprises pour rationaliser les dépenses et baisser le déficit, la priorité est d’augmenter notre produit intérieur brut. Il s’agit de la seule réponse durable face à la surpuissance de l’Etat dans notre économie. Pour cela, un choc de confiance est essentiel. Près de 200 milliards d’euros d’épargnes de précaution s’accumulent, soit le double du montant de notre plan de relance. Pour rétablir la confiance, nous devons garantir aux Français qu’il n’y aura pas de choc d’impôt. La création d’un grand fonds d’investissement souverain permettrait ainsi aux citoyens d’investir en fonds propre dans l’économie réelle sans risque. L’intérêt serait d’apporter une garantie au capital des Français, afin de créer une aspiration plus bien forte que celle permise à ce jour par les banques.
Dans le même temps, nous devons transformer l’Etat en une puissance publique agile, qui concentre son action sur la protection de sa population et sur son indépendance.
Un Etat qui protège d’abord, sur le régalien et le social. Alors que l’action sociale représente la moitié de nos dépenses publiques, aucune réforme n’a été menée depuis des décennies. Parmi celles-ci, les retraites en aspirent plus de 50%. Pourtant, les régimes sociaux sont complètement déséquilibrés, les régimes agricoles injustes, et de manière générale notre système obsolète.
Ensuite, un Etat qui prend des risques lorsque le privé ne le peut pas, afin de garantir l’indépendance et la souveraineté de notre pays. La France meurt de l’absence d’une stratégie industrielle. Nous avons laissé les entreprises quitter le territoire, alors même que cela fragilisait leur capacité d’approvisionnement en matières premières et leurs capacités logistiques. Prenons pour exemple l’aberration qu’est notre filière bois : alors que la France est une des plus grandes forêts européennes, nous envoyons notre matière première à l’étranger afin de la transformer, pour ensuite la racheter.
Demain, un changement d’époque pour un Etat moderne :
Les crises marquent toujours des changements d’époque, au sens grec de l’épochè qui signifie parenthèse. D’époque en époque, de crise en crise, se trace le long continuum de l’organisation des sociétés humaines. L’Etat lui-même n’y échappe pas.
Il est ainsi essentiel qu’il se modernise et investisse dans les secteurs les plus énergivores. Alors que la Banque des dépôts ou la BPI ont pour mission de créer de la richesse avec de la richesse, la puissance publique doit se positionner en capital risqueur, afin d’entraîner avec elle les investisseurs privés. La création de richesse et d’emplois doivent être la mère de ses priorités, dans des secteurs d’avenir, tels que l’hydrogène, l’hydroélectricité, la nouvelle génération du nucléaire, les biotechnologiques ou encore l’aéronautique vert…
Le plus lourd péché de l’histoire économique récente de notre pays est d’avoir intégré le ministère de l’industrie à celui de l’économie. Depuis vingt ans, nous avons condamné notre politique industrielle en la plaçant sous les ordres de ceux qui tiennent la bourse. De la même manière, comment peut-on expliquer que le Ministère des équipements, ou bien des transports, de l’énergie, soient passés sous la coupe d’un Ministère unique de l’écologie ?
Repenser l’action de l’Etat nécessitera en effet une traduction politique structurelle. Depuis près de trente ans, l’organisation gouvernementale sur-concentre les directions d’administrations centrales au sein de quelques grands pôles ministériels. Les ministères se polarisent, l’administration prend le pas sur les élus. Nous avons mis à la tête des Ministères des experts, là où nous devrions privilégier des élus, capables de résister à leur administration. S’ajoute à ce phénomène, celui de l’agenciarisation de l’Etat français. Les agences ayant désormais plus de pouvoir décisionnel que les Ministres eux-mêmes.
Dans le même temps, le millefeuille territorial continue d’exercer son indigence en matière d’investissement local. Les différents schémas de développement des collectivités locales ne sont en réalité que très peu appliqués, au profit de la distribution de subventions plus proche d’un modèle clientéliste.
Nous continuons d’arroser insuffisamment des territoires arides, qui ne cessent de se dessécher. L’aménagement du territoire doit être repensé en permettant aux entreprises d’être au cœur de cette revitalisation. La pandémie a permis de mettre en lumière de nouvelles aspirations, les Français étant désireux de meilleurs conditions de vie, plus loin des métropoles, plus proches de la nature et mieux logés. De cette attente sociétale, l’Etat doit devenir l’entremetteur entre les entreprises, ces salariés et les territoires.
La surpuissance de l’Etat durant cette crise a ceci de bénéfique qu’elle réinterroge ses priorités. D’abord comme filet de protection physique et social, la puissance de l’Etat sera essentiellement jugée au regard de son efficacité à retracer l’unique voix du rassemblement, celle d’une nation prospère.