Précarité, pauvreté, quelles initiatives ?
Par Chantal Mir, Directrice générale du pôle Habitat et Action Sociale et du pôle Justice Groupe SOS
L’épidémie du Covid-19 dans laquelle nous sommes plongés depuis plus d’un an a aggravé la pauvreté en France. Selon les dernières données de l’INSEE, 143 000 nouveaux ménages ont perçu le RSA en 2020 (portant le total à 2,1 millions de foyers), et le nombre d’étudiant.e.s ayant bénéficié d’une aide d’urgence du CROUS a augmenté de 48% en un an (pour un total de 10 000 étudiant.e.s). Si le dernier décompte quant au nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France le portait à 9,1 millions de personnes, celui-ci date de 2019 ; et tout porte à croire qu’il a connu entretemps une augmentation drastique.
Les équipes de terrain du GROUPE SOS l’observent chaque jour : non seulement la pauvreté, voire la grande pauvreté augmente, mais elle se pérennise. La grande pauvreté concerne les ménages touchant moins de 900 euros par mois, et subissant des conséquences directes quant à leur capacité à répondre à des besoins vitaux : se chauffer, se nourrir ou se vêtir par exemple. Environ 2 millions de personnes seraient concernées. Et parmi elles, l’INSEE estime que seules 13% parviennent à en sortir dans un délai de 3 ans. La crise sanitaire est venue aggraver certaines situations déjà fragiles : perte des emplois précaires, des réseaux de soutien matériel, augmentation de l’endettement…
Cet échec des politiques de lutte contre la grande pauvreté et le mal-logement n’est pas une surprise pour les acteurs et actrices de terrain. A titre d’exemple, le secteur de l’hébergement accueille des milliers de ménages disposant de revenus qui, alors même qu’ils sont en capacité d’intégrer un logement social et d’en assumer le loyer, vont demeurer hébergés plusieurs années. Or, le dispositif d’hébergement n’agit généralement pas comme un « sas » constructif pour se projeter dans l’avenir, mais a davantage tendance à générer de nouvelles ruptures dans les parcours des personnes accueillies.
En effet, deux phénomènes le rendent structurellement inefficient. Tout d’abord, le dispositif persiste à fonctionner « en escalier » : les personnes naviguent de dispositifs en dispositifs, poussées à déménager au risque de déstabiliser les organisations en place (emploi, garde d’enfant…). Comment alors trouver le temps, l’énergie ou même la continuité d’accompagnement nécessaire pour se poser, reprendre sa vie en main, prendre soin de soi ou conserver un emploi ?
Ensuite, ce problème est encore aggravé par la persistance de la « gestion au thermomètre », qui consiste à ouvrir des places d’hébergement en octobre pour les fermer en avril : les personnes sont tour à tour logées quand les températures baissent, remises à la rue à la sortie de l’hiver. C’est une épée de Damoclès permanente, profondément contreproductive.
C’est également un non-sens économique, forçant les opérateurs à constituer des équipes en urgence malgré les difficultés de recrutement, recourir aux CDD et subir les surcoûts des primes de précarité, capter des bâtis au pied levé sans optimisation du coût de ces derniers, et sans possibilité d’une gestion pluriannuelle vertueuse en termes de maintenance ou d’investissement. Cette gestion court-termiste est coûteuse pour l’ensemble des parties prenantes : les personnes concernées s’enlisent dans la pauvreté faute d’un accompagnement et d’un logement serein et stabilisé, les opérateurs et l’Etat perdent temps et argent à courir au rythme des ouvertures et fermetures de places.
Notons quand même que pour la première fois cette année, le Gouvernement a annoncé la pérennisation des 200 000 places ouvertes l’hiver dernier jusqu’en mars 2022 : nous espérons y voir la fin définitive de la « gestion au thermomètre ».
Il est alors indispensable de revenir aux fondements mêmes du droit au logement : le logement devrait être considéré comme un préalable indispensable pour stabiliser le quotidien, la condition de départ pour le rétablissement des personnes concernées et la projection dans l’avenir, et non comme la récompense d’un parcours d’insertion. Dans les villes ou pays ayant appliqué une politique de « logement d’abord », le résultat est sans appel : 80 % des personnes se maintiennent dans le logement, et pour la société, aucune augmentation des coûts à court terme, et des économies à moyen et long terme (en frais de services sociaux, d’hôpitaux, de police et de justice notamment).
Pour que ce « logement d’abord » soit un succès, trois conditions nous paraissent nécessaires : un premier accueil court dans un hébergement « sas », permettant d’évaluer précisément les besoins de chaque personne. Ensuite, l’accès à un logement sans condition ; c’est-à-dire en acceptant qu’une personne puisse avoir droit à l’erreur, connaître de nouveaux aléas dans son parcours. Enfin, en instaurant un véritable droit à l’accompagnement, déconnecté de la situation d’habitat ; c’est-à-dire disponible que la personne soit à la rue, en hébergement ou dans un logement pérenne. Cela permettrait à la fois de pérenniser les parcours de réinsertion et d’intervenir en prévention, quand une personne connait une rupture de parcours, afin d’éviter de réenclencher une spirale d’exclusion.