La déclaration finale du Cercle des économistes
12 mesures pour un contrat social de progrès
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Les défis soulevés par les Rencontres d’Aix 2017 sont d’une actualité brûlante. Technologie et mondialisation ont généré une opulence inédite, mais avec ses souffrances et sa face sombre: institutions démocratiques fragilisées, inégalités d’accès aux biens fondamentaux, polarisation du travail, déséquilibres territoriaux, flux migratoires chaotiques, risques éthiques et environnementaux.
La prospérité ne se résume pas à la recherche quantitative de la richesse matérielle, ni même aux concepts partiels de croissance inclusive ou durable. Elle repose sur un contrat social humaniste et durable, qui harmonise, par des institutions crédibles, la nécessité du progrès technique et économique, d’une part, et, de l’autre, la préservation des libertés individuelles et collectives, des ressources naturelles, et d’un régime international ouvert. Elle doit permettre l’épanouissement, tout au long de la vie, des capacités des individus.
En dépit de la reprise mondiale, les piliers du triptyque de la prospérité sont menacés : les fondations institutionnelles et les marges de manœuvre des états-nations sont fragilisées ; le contrat social s’effrite, devant la polarisation du marché du travail ; et la confiance en un rêve de progrès est remise en cause par les risques environnementaux et les dérives éthiques de certaines technologies.
Au cours des cinq dernières décennies, les progrès technologiques et le mouvement de mondialisation des échanges, ont fourni aux sociétés occidentales, puis au reste du monde, une richesse sans précédent. L’espérance de vie a augmenté de vingt ans, l’extrême pauvreté a été divisée par quatre, et les possibilités d’émancipation des femmes se sont considérablement améliorées. De larges pans de la population, pourtant, sont laissés sur le bord du chemin de cette prospérité. La moitié des habitants du continent africain n’ont pas accès à l’électricité. Les pays émergents connaissent des inégalités et des degrés de pollution alarmants. Dans les économies avancées, alors que s’accentuent polarisation du marché du travail et déséquilibres territoriaux, les risques écologiques et les inégalités d’opportunités sont sources de frustrations politiques. Entre ces deux mondes, des flux migratoires, liés à l’insécurité, aux conflits ethniques et confessionnels, et au changement climatique, mettent au défi la coopération internationale.
Il faut alors amorcer l’ébauche d’un nouveau contrat social, fondé sur la confiance dans le progrès humain et garant de l’égalité des chances tout au long de la vie. Il doit reposer sur trois piliers : la liberté de circuler, d’inventer, d’entreprendre; la protection et la réinsertion des exclus et des perdants de la prospérité ; et le souci de l’expérimentation et de la rationalité.
L’urgence des réactions défensives à la crise économique, qui a rythmé les dix dernières années, laisse désormais place au temps de l’invention et de la construction d’un modèle modernisé d’économie sociale de marché. Les économistes doivent prendre toute leur part à cet effort, sous l’égide de trois principes : la défense d’un ordre international économique ouvert ; l’édification d’une maison commune européenne, autour de compromis respectueux des souverainetés ; et un effort de réorganisation structurelle de l’économie française et de ses institutions sociales et politiques. Sous le sceau de nos valeurs de prospérité humaniste, le Cercle des Économistes présente ainsi 12 propositions.
I. Renouer avec l’esprit de progrès : une prospérité au service de tous
1. Remodeler nos systèmes d’enseignement autour du dialogue entre innovation et formation
- Lancer un plan Marshall du numérique à l’école ; inciter les enseignants à l’innovation pédagogique
- Systématiser les opportunités de valorisation privée des brevets par les chercheurs
- Créer un réseau européen de pépinières de start-ups au sein des universités
2. Limiter le pouvoir des entreprises dominantes, notamment technologiques
- Créer des agences transnationales (task-forces) pour réguler les secteurs à fortes externalités
- Instaurer un plan européen de protection et de portabilité des données
- Mettre en application une fiscalité à base nationale pour les géants de l’économie numérique
3. Ouvrir largement l’accès au financement aux populations aujourd’hui les plus à l’écart
- Développer les services financiers dans les pays émergents : cadastre, réduire les paiements cash
- Réguler l’usage des crypto-monnaies, via la Banque des Règlements Internationaux
4. Révolutionner notre conception de l’Etat, pour en faire un levier efficace de prospérité
- Mettre immédiatement en œuvre la fiscalité du capital promise par le Président Macron
- Remettre à plat les rôles de l’Etat et du privé, en limitant l’Etat à la correction des failles de marché
- Imposer le principe de l’autonomie et de la mobilité systématiques des acteurs du service public
II. Donner un nouveau souffle à la responsabilité sociale et environnementale
5. Donner priorité à l’exigence environnementale du développement, et aux acquis de l’accord de Paris
- Remplacer les subventions aux énergies polluantes par des transferts financés par le Fonds Vert
- Créer un « Corridor Climatique Européen »: vers une taxe carbone autour de 50€/t à 10 ans
6. Créer des « cités intelligentes » en donnant aux habitants la maîtrise de la planification
- Contraindre les opérateurs (Uber, Airbnb, mais aussi les services publics classiques…) à partager avec les autorités urbaines les données collectées, à des fins d’optimisation et de planification
- Créer des coopérations entre métropoles sur le modèle de la plateforme NAZCA à la COP21
7. En France, refonder les règles du dialogue social dans l’entreprise
- Tenir au sein de l’entreprise des discussions consultatives sur la stratégie, via des représentants, élus sans monopole syndical, de tous les acteurs (salariés, collectivités territoriales…)
- Inciter les entreprises à ouvrir leur capital aux salariés, en étant attentif à la diversification du risque
III. Faire de l’égalité des chances tout au long de la vie un nouveau modèle social
8. Faire du système d’enseignement supérieur un moteur de l’ascenseur social
- Repenser les filières courtes techniques, pour améliorer l’employabilité des moins qualifiés
- Remplacer APB par une orientation au mérite ; créer des filières sélectives dans les universités
9. Se doter d’une politique offensive de mobilité et de migration en Europe et en France
- Doter l’Europe d’une politique migratoire réellement coordonnée: statut européen du réfugié, partage d’informations relatives aux capacités d’accueil, renforcement de Frontex…
- Supprimer, pour les ventes liées aux transitions professionnelles, les droits de mutation immobiliers
- Assurer la portabilité absolue du droit au logement social d’une commune à une autre
IV. Repenser les institutions de la coopération internationale
10. Investir dans les infrastructures de base pour accélérer le développement
- Viser l’objectif d’un accès universel à l’eau potable et à l’électricité en Afrique d’ici 15 ans, via de larges investissements, notamment ruraux (équipements agricoles, télécommunications mobiles, …)
- Financer l’investissement en réduisant les subventions agricoles non-vertes dans les pays du Nord
11. Créer une véritable Union Européenne pour l’Emploi, offrant sécurités et opportunités nouvelles
- Lancer en Europe un Fonds de la Seconde Chance faire face aux transformations, en regroupant des financements du Fonds Social Européen et du Fonds d’Ajustement à la Mondialisation
- Créer un complément européen d’assurance-chômage
12. Construire un vrai marché unifié des capitaux en Europe, et créer un Nasdaq européen
- Abandonner l’idée de mutualisation des dettes passées en Europe: créer des titres de dette sûre de la BEI pour financer un nouveau plan Juncker, appuyé sur une gouvernance indiscutable
- Harmoniser le régime des faillites, et les conventions fiscales bilatérales avec les États hors Union