Réinventer l’emploi après la crise

7WFLBfhy8u-E2rTxICXD4gvqI3BP1zLfdcBVwux2HfU,5C28zEbDHMrYE2rzkG9DZZM1MoVDyDfMTqViCgUOA5c « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après demain », énonçait le chancelier Helmut Schmidt en 1974. L’investissement serait alors un moyen au service de la croissance et donc de l’emploi. Le théorème, devenu célèbre, est aujourd’hui largement remis en cause. Est-il toujours valable dans un monde globalisé dans lequel la récession a pris le pas sur la croissance ?

Mondialisation, adaptation. L’emploi a connu ces dernières décennies des mutations considérables. La crise a été globale, le chômage aussi. Patrice Geoffron, membre du Cercle des économistes, rappelle qu’au niveau mondial « on compte aujourd’hui 200 millions de chômeurs et 60 millions d’emplois disparus suite à la crise ». Le théorème du chancelier Schmidt a été contredit par des exemples récents : les entreprises espagnoles ont investi 5 points de PIB de plus que celles d’Allemagne, en 2014 le chômage y est de 25% contre 5% outre-Rhin. Les difficultés des pays développés résident principalement dans l’adaptation aux nouveaux secteurs porteurs de croissance. L’emploi dépend fortement de ces secteurs, numériques et technologiques, et l’investissement y est encore très faible dans les pays européens. Comme le souligne Kemal Dervis, ancien ministre turc de l’économie, « nous sommes dans une phase de changement et d’accélération extrêmement rapide et les difficultés à investir dans de nouveaux types de connaissances et de formation sont un frein important à la croissance ».

Investir dans le capital humain. Face à ce constat, investir dans le capital humain semble la priorité pour relancer la création d’emploi. Pour Pierre Nanterme, PDG d’Accenture, les entreprises françaises et les politiques publiques doivent mettre l’accent sur ce capital humain en encourageant l’entreprenariat et la formation aux carrières scientifiques et technologiques. « La création de jobs dans les secteurs porteurs de croissance a un effet multiplicateur par les services : aujourd’hui un million de job créé dans la technologie et le numérique pourrait permettre la création de 10 millions d’emplois pour les jeunes », explique le chef d’entreprise. La France est particulièrement ciblée par ces critiques, il n’y existe pas de formations d’excellence aux emplois de demain.

Incertitude et peur du changement. La mentalité française face à l’emploi est au cœur du débat. Pessimisme, peur du risque et du changement constituent des freins considérables à la croissance. « La France se caractérise par une aversion au risque, une volonté de garder ce que l’on a plutôt que de conquérir ce que l’on a pas », dénonce Jean-Luc Placet, président du groupe Syntec. Enrico Giovannini, ancien ministre du Travail italien, dénonce une incertitude liée à la crise qui toucherait toute l’Europe et particulièrement la zone euro. L’an dernier, 50% des citoyens européens pensaient que « le pire de la crise était à venir ». Cette anxiété a des effets non négligeables sur la prise de risque et donc sur l’investissement. « C’est un problème de résilience : on croit que la situation est vouée à être constamment améliorée et l’arrivée de la crise bloque toute une génération », commente l’homme politique italien.

Rigidité des politiques de l’emploi. Le sous-investissement des politiques actives du travail constitue également un frein majeur à l’emploi en France. Les chefs d’entreprise présents au débat dénoncent des conditions de travail trop souples et inadaptées à la productivité. Sans remettre en cause les acquis sociaux, Jean-Luc Placet plaide pour « un modèle économique qui lie les avantages sociaux qu’on en tire et la réussite économique ». Soutenir les secteurs à forte valeur ajoutée et rendre plus flexible le code du travail constituent les deux chantiers prioritaires en matière d’emploi en France. Même constat pour Eric Woerth, ancien Ministre du Budget puis du Travail: « il faut passer à une société de contrats, plus flexible, plus libre pour les entreprises. Le temps de travail est aujourd’hui trop faible ».

Raphaëlle Orenbuch