Rangeons nos mouchoirs : l’innovation ne nous a pas quittés.

Sommes-nous dans une période de ralentissement du progrès technique ? Il est vrai que ces dernières décennies peuvent paraître bien fades au regard de certaines périodes de notre Histoire particulièrement dynamiques en terme d’innovation. Pourtant les conférenciers rejettent tous cette vision éloignée, selon eux, de la réalité.

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« Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt ». L’innovation est bien là. Seulement, elle demeure difficilement quantifiable. L’erreur des économistes, pour Jacques Attali, réside principalement dans le fait qu’ils ne prennent pas en compte l’essence même du progrès technique : les changements sociaux. Ces changements se sont concentrés sur trois grandes vagues d’innovations dans le transport, les biens ménagers, et enfin le numérique, chacune ayant participé à l’émancipation de l’Homme. La prévoyance santé et l’éducation sont les deux grands domaines qui devraient, à terme, bénéficier du progrès technique. Clara Gaymar rejoint l’idée qu’il existe une inaptitude à mesurer efficacement l’innovation car le progrès va plus vite que l’évolution des agrégats pour le quantifier. Elle distingue trois périodes, celle de l’Innovation, celle des Imitateurs, et celle des Imbéciles. Aucune concession, nous sommes dans celle des  « Imbéciles ». Nous ne chercherons pas, ici, à savoir qui est considéré comme « imbécile » et qui ne l’est pas ; espérons simplement ne pas en faire partie.

L’absence de rupture. Les ruptures technologiques tournent autour de critères géographiques, quantitatifs, et sur les relations entre acteurs économiques. Or, on constate l’absence de rupture technologique violente ces dernières décennies. L’exemple des infrastructures électriques est édifiant. Bien que l’électricité ait été découverte des siècles auparavant, le réseau électrique se modernise jour après jour, « pas à pas ». L’avancée technologique existe, bien qu’elle ne soit pas assez spectaculaire pour retenir l’attention. « Le futur est déjà là, il est juste mal réparti  », s’exclame Andrew McAfee. Il poursuit en rappelant que le progrès est graduel puis s’intensifie brusquement. Pendant des années, les chercheurs ont été incapables de créer des robots disposant d’une réelle intelligence artificielle. Récemment, des scientifiques ont surmonté cette difficulté et créé un robot capable de reproduire des émotions humaines. Ces avancées ne constituent pas de réelle ruptures, elles incarnent simplement des « briques » technologiques qui permettront à terme, de construire une « maison  où l’on se sent bien », selon Lionel Fontagné.

Le rôle de l’Etat et les questions éthiques. Couplons logiciels perfectionnés de reconnaissance faciale avec modernisation de la surveillance. Ajoutons à cela l’immense masse de données que nous laissons chaque jour sur le Web. Le cauchemar Orwellien n’est plus très loin. Doit-on avoir peur du progrès technique, doit-on le contrôler, le limiter ? Jacques Attali soutient qu’il faudrait simplement interdire l’innovation ayant un potentiel de destruction irréversible. Le problème étant de définir ce qu’est une « destruction irréversible », chaque pays pouvant développer sa propre définition. Plus complexe est la gestion de l’innovation. Deux régulateurs se distinguent : l’Etat et le Marché. Les conférenciers se déchirent sur cette question ; tandis que les intervenants français défendent une intervention étatique ferme, arguant que les principales réussite technologiques françaises sont liées au financement de l’Etat, Andrew McAffee (Etats-Unis) et Nobuyori Kodaira (Japon) défendent une intervention de l’Etat uniquement dans la recherche fondamentale. L’ironie étant que les États-Unis investissent massivement dans l’innovation à travers le complexe militaro-industriel, point important qu’Andrew McAfee omet de mentionner. Il se reprend et, dénonçant le principe de précaution français, conclut : « on peut choisir de protéger notre futur de notre passé, ou notre passé de notre futur. Pour ma part j’ai fait mon choix ». Progrès lyrique, sans aucun doute.

Baptiste Salmon