Le jeu de l’amour et du marché

L’investissement est enfant de bohème et n’a jamais jamais connu la loi du marché, a-t-on entendu aux Rencontres Economiques qui se tiennent en même temps que le célèbre Festival d’Art lyrique de la ville. Entre attirance et désamour, le marché et la finance vivent une histoire conflictuelle. Peut-on les marier ? Débat entre économie réelle et système financier.

Tidjane THIAMUn mariage arrangé ? L’idylle débute dans les années 80, nous raconte Olivier Pastré (Cercle des économistes). Si des tentations d’aventures extra-conjugales se manifestent assez tôt, le mariage apparaît néanmoins comme une bonne idée. Pour Yves Perrier (Amundi), il faut absolument unir les deux parties  « il n’y a pas d’économie tenable qui fonctionne sans l’investissement, sans choc de compétitivité provoqué par l’investissement ». Naturellement, ce mariage ne va pas sans quelques contraintes. Yves Perrier regrette notamment que certaines obligations, les règles prudentielles, essayent de prédire l’avenir en fonction du passé, et représentent des impasses qui freinent l’épanouissement de la finance au profit de celui de son couple. Ce qui n’est jamais bon, d’après les plus éminents conseillers conjugaux.

Deux visions différentes du couple. Pour Henri Proglio (EDF), le problème vient essentiellement d’une différence de vision – à long terme pour le marché, à court terme, pour la finance – de leur engagement. Comment s’entendre alors ? Comment construire quoi que ce soit à deux ? Si le « mariage pour tous » n’est désormais plus un problème (Olivier Pastré nous fait remarquer que les mots « investissement » et « marché » sont tous deux de genre masculin), il n’en reste pas moins que la « procréation pour tous » reste équivoque. EDF, par exemple, qui est une entreprise avec une mission de service public, nous rappelle Henri Proglio, ne trouve pas sa place auprès de la finance, cette dernière se détournant de plus en plus de l’épargne, en quête de profit plus rapide.

Une histoire de bons sentiments. A entendre les complaintes du marché, l’investissement n’est qu’un sombre égoïste préoccupé par une vision « courtermiste » tandis que le marché, lui, a besoin d’investir l’avenir. « C’est loin d’être aussi simple » explique Tidjam Thiam, de la société d’assurance britannique Prudential, et la réponse n’est pas totalement binaire. « Dans une compagnie d’assurance, explique-t-il, nous sommes obligés de prendre en compte des échéances qui vont jusqu’en 2040. Nous sommes nécessairement dans le long terme. » La devise de Prudential « Doing well by doing good » reflète la mentalité de cette société d’investissement préoccupée par un sentiment de responsabilité vis-à-vis de ses actionnaires.

Réconcilier les amants ? Il ne faut pas penser que la finance est un objet absurde, régie par des lois ubuesques, défend Tidjam Thiam. S’il y a quelque chose d’absurde, c’est le choix du variable du taux d’intérêt, explique-t-il. Si on décide de les maintenir à un taux qui n’est pas réaliste, il est évident qu’on se heurte à des situations qui peuvent se révéler dangereuses. Le débat « long terme, court terme » n’est pas suffisant pour expliquer la relation difficile entre marché et investissement. Les problèmes sont structurels. Ainsi, Tidjam Thiam recommande fortement à l’Europe de diversifier le financement du marché européen et d’augmenter le rôle des acteurs non bancaires. Protéger ses fondements financiers pour investir dans un mariage durable entre l’investissement et le marché, voilà la conclusion de ce débat. « Si je t’aime, prend garde à toi ! » dit la chanson.

Lydia Belmekki