Dialogue et mutualisation des moyens : les deux mamelles de la Recherche

Envisager l’innovation de demain, c’est s’interroger sur le devenir de la recherche. Le XXème siècle a vu naître l’institutionnalisation de la recherche, le CNRS, les grands programmes d’Etat. Le XXIème siècle sera celui des inventeurs, des découvertes et du progrès technique. Mais rien ne sera possible sans dialogue ni mutualisation des moyens financiers et technologiques.

Penser le long terme. Au même titre que ‘’science sans conscience n’est que ruine de l’âme’’, ne pas considérer la recherche comme priorité d’avenir serait une grave erreur de jugement prospectif. Il aura fallu attendre les années 80 pour que les économistes s’intéressent à ce secteur clef du développement technologie, scientifique, et donc économique. La recherche s’est développée progressivement dans les grandes entreprises avant de gagner les PME, PMI et autres ETI (entreprises de taille intermédiaire) au fil des décennies. Selon Christian Stoffaes, membre du Cercle des économistes, la question est aujourd’hui de savoir « où l’on va trouver de nouveaux moteurs pour convaincre les Etats de la nécessité de dégager de nouveaux budgets ». Véritable challenge en période de disette budgétaire.

Valorisation comptable. Un autre défi à relever au XXIème siècle sera celui de la comptabilisation. Comment intégrer les impératifs de recherche avec « les tableurs des normes comptables ? », s’interroge Christian Stoffaes. Ces outils dont Didier Lombard, administrateur de Technicolor, fait son miel pour mieux fustiger la rigidité des administrations, tant publiques que privées, dans l’entreprise. « Le tableur est l’ennemi de la recherche. Financer des politiques d’avenir sans retour sur investissement immédiatement perceptible est une affaire d’habileté », insiste l’ancien patron de France Telecom, ajoutant avec une pointe d’ironie que l’idéal, pour un dirigeant visionnaire, est d’être appuyé par « un conseil (NDLR : d’administration) démocratique ».

Pragmatisme du scientifique. Cette perspective de nécessaire retour sur investissement est important, aussi, aux yeux du mathématicien français Cédric Villani. Pour le Directeur de l’Institut Henri Poincaré et professeur à l’université Claude Bernard Lyon 1, si la question du financement est primordiale – notamment à travers les brevets –, « les découvertes ne sont pas seulement une question de moyen… d’autant que le succès n’est pas toujours proportionnel aux efforts consentis (NDLR : par les entreprises) ». Analyse très pertinente de la part du médaillé Fields 2010, l’équivalent du Nobel pour les mathématiques.

L’exemple des politiques de santé. Le secteur de la santé en général, et du médicament en particulier, permet d’illustrer parfaitement le propos. Comme le rappelle Patrick Errard, Président du Leem qui représente les entreprises du médicament, « la recherche fondamentale a pour objet de comprendre », une phase essentielle dans la conception des produits pharmaceutiques. Il faut donc « développer les interactions entre recherche et applications cliniques (…), et, dans ce cadre, s’interroger sur les modes collaboratifs à inventer », en intégrant les investissements et la mutualisation des moyens.

La nécessaire anticipation. Prévoir en amont pour mieux gérer en aval, prendre les bonnes décisions et anticiper sur le plan budgétaire, donc parlementaire. Cette condition crée le consensus chez tous les intervenants. Comme l’explique Marion Guillou, présidente d’Agreenium, la recherche s’accélère et se complexifie. Selon l’ingénieur agronome, « ces cinquante dernières années, les investissements en recherche ont représenté les 2/3 de l’augmentation de la productivité ». Preuve que l’investissement gagnant-gagnant se construit sur le long terme. Et si, comme l’affirme Cédric Villani, « le chercheur est l’ami du hasard », pour former les innovateurs, « il faut insister sur le savoir faire plutôt que sur le savoir ». Un combat de tous les instants. Le combat de l’investissement responsable mais pragmatique.

Edouard Rossey